
Plus de 150 sculptures de Pierre Bouret : un acteur majeur de la tendance figurative
Conservée jusqu’alors précieusement par la famille, une étonnante collection de marbres, plâtres, terres cuites, bronzes, dessins et médailles du sculpteur Pierre Bouret sera mise aux enchères vendredi 30 mars 2018 par Maîtres Guillaume Crait et Thomas Müller à Paris. L’occasion de découvrir l’œuvre de ce représentant majeur de la sculpture figurative de l’entre-deux-guerres, ami et collaborateur des plus grands, de Charles Despiau à Aristide Maillol, Robert Wlérick et François Pompon.
Alors que la Fondation Taylor présente à Paris une exposition sur « Les Maîtres de la sculpture figurative, 1938-1968 », Maîtres Guillaume Crait et Thomas Müller s’apprêtent à disperser vendredi 30 mars à Paris un ensemble de plus de 150 œuvres d’un acteur majeur de ce mouvement, le sculpteur Pierre Bouret (1897-1972). « Les pièces sont issues de la collection familiale et ne sont jamais passées sur le marché, détaille Maître Thomas Müller. Elles étaient conservées jusqu’alors précieusement par les enfants, puis les petits-enfants de l’artiste. »

Athlète au repos, 1938 Épreuve en bronze à patine brune nuancée, n°1/5 Fonte au sable Alexis Rudier Signé (sur la terrasse à l’arrière gauche) 41 x 59,5 x 31 cm. Estimé entre 3 000 et 4 000 euros.
Un représentant de la sculpture figurative de l’entre-deux-guerres
Marbres, plâtres d’atelier, terres cuites, bronzes, dessins et médailles datés de 1920 à 1969 témoignent d’un travail mené dans la lignée des sculpteurs indépendants qui s’illustrèrent en France durant l’entre-deux-guerres. « Placée sous l’égide de figures tutélaires comme Aristide Maillol, Antoine Bourdelle ou Charles Despiau, ce mouvement esthétique a toujours souhaité se dissocier d’une autre tendance plus réaliste et académique, représentée par Paul Landowski, Henri Bouchard ou Paul Belmondo, détaille Jean-Baptiste Auffret, consultant en sculpture du XXe siècle. Toutefois les deux tendances étaient perméables et certaines des œuvres de Pierre Bouret, comme ses grandes figures d’athlètes ou quelques-uns de ses reliefs comme l’Hommage à Poussin de 1961 relèvent d’un esprit davantage classique, que sa personnalité discrète et réservée incarnait parfaitement. Ses œuvres démontrent ainsi une volonté d’incarnation et de sensualité des corps, mais également, une allure solide et puissante, parfois même austère. »

Jeunesse, 2e version, 1942, marbre signé sur la terrasse, 42,5 x 27 x 25,5 cm. Estimé entre 3 000 et 4 000 euros.
Un artiste artisan
Surnommé « l’ouvrier du ciseau », Pierre Bouret fut praticien avant d’être artiste. Entre 1925 et 1935, il retouche les cires de la prestigieuse fonderie Valsuani près de Paris, avant de travailler pour les plus grands de son temps – Aristide Maillol, son grand ami Charles Despiau, Robert Wlérick, François Pompon… Pour le sculpteur, la praticité est une étape indispensable à l’invention : « Il faut avoir beaucoup de gammes pour oublier le mécanisme et être tout entier au dessin de la ligne mélodique. Ainsi devons-nous posséder un métier […] afin de ne plus songer à la main qui d’elle-même doit suivre le cœur et traduire l’émotion. »
« Cette double expérience artistique et technique, très rare chez les sculpteurs de cette époque, allie une connaissance parfaite de la pierre et un savoir-faire incontestable de la fonte en bronze », remarque Jean-Baptiste Auffret. Ainsi, comme en témoigne la vente, le sculpteur multiplie les matériaux (la terre, le plâtre, la pierre, le marbre, le bronze) et façonne des sculptures aux formes les plus diverses et complexes (des portraits en pied imposants, des bas-reliefs défiant les lois de la pesanteur, des bustes, des nus sensuels et même des médailles qu’il exécute notamment pour la Monnaie de Paris). « Il travaille également sur les dimensions, déclinant un même sujet sous plusieurs échelles. » La jeunesse (marbre estimé entre 3 000 et 4 000 euros) en est un bon exemple. Cette figure réalisée au cours des années 1930 donna lieu à plusieurs versions, l’une drapée, l’autre dénudée, toutes deux déclinées en plusieurs tailles. « Cette pratique tout à fait inédite traduit semble-t-il une volonté d’épuiser toutes les ressources d’un même sujet. »

Figure couchée ou Femme allongée, 1931-1935, marbre, 1946, signé (sur la terrasse), 26 x 52,5 x 24 cm. Estimé entre 4 000 et 6 000 euros.
Un acteur majeur de la sculpture du XXe siècle
La parfaite maîtrise du sculpteur lui vaut de nombreux honneurs. En 1935, il reçoit le prestigieux Prix des Vikings pour sa Figure couchée en pierre d’Euville, devant un jury composé d’illustres sculpteurs tels Pierre-Marie Poisson, Louis Dejean et Jacques Loutchansky. « L’œuvre figurait certainement sa première femme, Yvonne, décédée en 1934, poursuit Jean-Baptiste Auffret. Elle fut exposée au Salon des Tuileries en 1936, acquise par la Ville de Paris pour le musée du Petit Palais, avant de rejoindre les collections du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Elle fut déclinée en plâtre, terre cuite, bronze et marbre, dont un modèle de 1946 sera proposé aux enchères. Estimé entre 4 000 et 6 000 euros, il s’agit sans doute de la pièce phare de la vente. » L’artiste, dont les œuvres habillent régulièrement les cimaises du Salon d’Automne, attire à plusieurs reprises l’attention de l’Etat, qui lui achète et lui commande une douzaine de pièces, tandis que les municipalités (Soissons, Barentin, Saint-Dizier, Villers-Cotterêts, Poissy, Vanves, Bernay, etc.) le sollicitent pour une vingtaine de projets publics. « Les critiques d’art influents n’ont pas manqué de faire figurer l’étonnante personnalité de Pierre Bouret au sein des plus célèbres ouvrages d’histoire de la sculpture française de cette époque. De même, la presse internationale s’est intéressée à son travail, comme en témoigne la publication d’un article dans le Continental Daily Mail en 1952. »

Relief, 1939-1941, épreuve en terre cuite, n°3/9, signé (en bas à droite), 45 x 42 x 8 cm. Estimé entre 600 et 800 euros.
Des œuvres rares sur le marché
S’il a pris part activement à l’histoire de la sculpture du XXe siècle, son œuvre a été occultée au fil du temps par celle de quelques artistes mis sur le devant de la scène : Aristide Maillol, François Pompon, Charles Despiau… « Toutefois, aujourd’hui, le marché de la sculpture est de plus en plus dynamique et des artistes jusqu’alors oubliés commencent à émerger aux côtés des grandes figures que sont Rodin, Claudel, Maillol ou Bourdelle, note Jean-Baptiste Auffret. Cette tendance a été initiée en avril 2016 à Paris avec la vente de l’atelier du sculpteur Marcel Damboise (1903-1992), un proche de Charles Despiau. Les collectionneurs se sont rendus compte que ces artistes sont les véritables maillons d’une chaîne, unis par un lien de maîtres à élèves. » L’exposition « Oublier Rodin ? » présentée en 2009 par Catherine Chevillot au Musée d’Orsay a probablement participé à ce mouvement, en donnant de nouvelles pistes, en insufflant un air nouveau. Aussi, ces œuvres définitives ou préparatoires de Pierre Bouret, estimées de quelques centaines d’euros à 6 000 euros, pourraient bien créer à leur tour la surprise. « Les sculptures de Pierre Bouret sont très rares sur le marché, note Maître Thomas Müller. En trente ans, deux sculptures seulement ont été mises aux enchères. »
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Adolescente, 1934-1936, épreuve en bronze, n°2/8, fonte à la cire perdue Claude Valsuani, signé (à l’arrière de la terrasse), 72 x 24 x 21 cm. Estimé entre 4 000 et 5 000 euros.