Redécouverte d’un tableau de jeunesse de Nicolas Poussin
Le 26 novembre à Paris, la maison Ader dévoilera, avec le concours du cabinet Turquin, un tableau de jeunesse de Nicolas Poussin, représentant Vénus épiée par deux satyres. Une toile érotique récemment redécouverte qui contraste avec le corpus de l’artiste, composé d’œuvres plus classiques.
« On ne connaît pas de tableaux de Poussin de cette période-là, avec ce thème et ces dimensions sur le marché », se réjouit le commissaire-priseur David Nordmann. Estimée entre 800 000 et 1 000 000 euros, la grande toile (70 x 95,5 cm) que présente aux enchères la maison Ader diffère totalement, de par son sujet érotique, des œuvres plus classiques attendues chez Nicolas Poussin (1594-1665).
Elle a notamment appartenu à Paul Jamot, conservateur en chef du musée du Louvre et spécialiste de Poussin, jusqu’à sa vente en 1943. Conservée depuis dans des collections particulières, cette Vénus épiée par deux satyres n’était plus connue que par une photographie en noir et blanc. Refusée par Anthony Blunt dans les années 1960, d’après cette photographie, elle est plus tard citée par Jacques Thuillier comme étant possiblement de Poussin. Mais c’est la publication en 2017 d’un article de Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto, ainsi qu’une minutieuse restauration, qui replacent sûrement et définitivement ce tableau dans le corpus de jeunesse de Nicolas Poussin, parmi de nombreuses toiles de sujet similaire des années 1625-1627.
Une œuvre de jeunesse de Nicolas Poussin
Cette redécouverte a culminé dans l’exposition du musée des Beaux Arts de Lyon de l’an dernier, « Poussin et l’Amour », dans laquelle notre tableau figurait en bonne place entre les Vénus, toutes deux aussi érotiques, du Kunsthaus de Zurich et de la National Gallery de Londres. Les trois tableaux, très proches, datent de ces années 1625-1626.
Nicolas Poussin arrive à Rome en 1624. Sous l’influence du Titien et de Carrache, il se plaît à peindre des scènes mythologiques figurant le rapport amoureux. Le coloris très subtil et la touche délicate de notre tableau, ainsi que l’importance de la lumière qui définit la place de chaque personnage dans la composition, sont caractéristiques des œuvres de Poussin dans les années 1625-1627. Notre tableau, d’une approche très picturale, peut ainsi être daté vers 1626. Passé par Venise avant de s’installer à Rome, Poussin reprend ce thème de la nymphe endormie dans un sous-bois et surprise par des satyres, omniprésent dans la peinture vénitienne du XVIe siècle.
La carnation rosée de la déesse opposée aux faciès rudes et concupiscents des satyres confère une véritable sensualité à ce tableau. L’imagerie licencieuse, chez Poussin, disparaîtra par la suite pour laisser place à des sujets plus classiques.
Des tableaux érotiques, témoins d’une période charnière
À partir du XVIIIe siècle, la dimension érotique et la violence sous-jacente dans cette scène de voyeurisme était trop aveuglante pour qu’on attribue cette toile à Nicolas Poussin. L’évolution du regard sur l’œuvre de Poussin, la remise en question des historiens de l’art, ont conduit à replacer cette œuvre à sa juste place, faisant de cette Vénus un jalon essentiel entre l’érotisme vénitien du XVIe siècle et la renaissance de l’érotisme dans la peinture française au XVIIIe siècle.
Les années 1620-1630 sont une période charnière durant laquelle Poussin se plaît à exécuter des tableaux érotiques avant de devenir l’un des maîtres du classicisme. « La qualité picturale, la liberté de la touche, le tonalisme subtil qui nimbe le corps de la déesse, la restitution du volume des chairs des satyres par l’usage singulier de la réserve permettent de l’intégrer sans conteste parmi les œuvres du maître français réalisées vers 1626 », note Mickaël Szanto au sein du catalogue de l’exposition « Poussin et l’Amour ». Le tableau, estimé entre 800 000 et 1 000 000 euros, sera inclus au catalogue raisonné de Poussin, par Pierre Rosenberg, à paraître.
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