Le 7 mai 2024 | Mis à jour le 12 juin 2024

Estelle Laporte expertise une gouache de Jean Hugo

par Magazine des enchères

Une gouache de Jean Hugo a été confiée à la maison de vente limougeaude Pastaud. Estelle Laporte, élève commissaire-priseur, nous propose de revivre l’expertise en direct de ce petit chef-d’œuvre, livrant ses observations et le fruit de ses recherches sous l’œil aguerri de son maître de stage, le commissaire-priseur Paul Pastaud. 

 

Les commissaires-priseurs en herbe, dont l’Association Nationale des Elèves Commissaires-Priseurs (ANECP) assure la cohésion, proposent deux fois par mois aux lecteurs du Magazine des enchères de revivre en direct un travail d’expertise mené à quatre mains dans les coulisses des salles des ventes. Aujourd’hui, c’est au tour d’Estelle Laporte, élève commissaire-priseur au sein de la maison Pastaud, de se prêter à l’exercice. Sous l’œil aguerri du commissaire-priseur Paul Pastaud, elle décrypte pour nous une gouache sur papier de Jean Hugo

 

Les premières impressions ?

Estelle Laporte : Je découvre cette œuvre lors de la préparation de la vente dédiée au mobilier et objets d’art, organisée chaque mois au sein de l’étude. Ce qui me frappe en premier lieu c’est sa taille. Cette gouache sur papier n’est pourtant pas si grande, elle mesure à peine 30 x 20 cm, mais elle fait partie d’un ensemble composé de six œuvres, toutes des gouaches, mais de tailles beaucoup plus modestes. A coté de ces miniatures, l’œuvre paraît d’une toute autre importance.

Paul Pastaud : Un regard enfantin se dégage de ce dessin presque naïf où les touches de couleurs animent les aplats de gouache et leur insufflent la vie. A l’image d’une œuvre du Douanier Rousseau ou de Moïse Kisling, l’éphémère se rapproche ici d’un moment que l’on voudrait éternel : un après-midi sur l’eau au milieu de la nature avec ceux que l’on aime. Rien de majestueux ni de solennel, juste un moment simple où l’on arrête de penser pour profiter de la magie de l’instant présent.

 

Jean Hugo (1894-1984), Le Thouet à la barque. Gouache sur papier signée en bas à droite. 25 x 30 cm. Adjugé 6 696 euros (frais inclus). 

 

Une signature ?

Estelle Laporte : L’œuvre est signée en bas à droite, dans le décor, du nom et prénom de l’artiste Jean Hugo (1894-1984), dont les peintures sont caractérisées par la simplification des formes et la saturation des couleurs. Jean Hugo est l’arrière-petit-fils de Victor Hugo, mais aussi le fils du peintre Georges Hugo, dont le travail a été mis en lumière lors d’une rétrospective organisée récemment à la Maison Victor Hugo. L’on imagine la difficulté que d’être le descendant de cette prestigieuse famille aux imposantes figures artistiques ! Jean Hugo fréquente d’ailleurs très tôt un cercle d’artistes et de poètes surréalistes, dont Paul Eluard, André Breton et Jean Cocteau. Il n’était pas seulement peintre, il a réalisé également de nombreux décors et costumes de théâtre, et il a illustré plusieurs livres.

Paul Pastaud : L’œuvre arrive à point nommée, le Musée Fabre de Montpellier organisant à partir du 28 juin une rétrospective sur Jean Hugo le regard magique. 

 

Détail de la signature.

 

Un mouvement artistique ?

Estelle Laporte : Jean Hugo prend ses distances avec les avant-gardes. Il s’éloigne du fauvisme, ne garde que quelques idées essentielles du cubisme et élabore une voie artistique singulière. Il est difficile de ne pas voir une ressemblance avec le travail d’Henri Rousseau et ses célèbres représentations de jungles luxuriantes. Le Douanier Rousseau est aujourd’hui considéré comme l’un des premiers peintres de l’art naïf. Ce courant artistique désigne des artistes, souvent autodidactes, dont les œuvres ne respectent pas les règles de la perspective et la précision du dessin, et dont les couleurs sont antinaturalistes. Notre paysage est finement dessiné, mais on constate effectivement que l’espace est découpé en plusieurs plans, comme des cadres successifs formés par la végétation qui donnent une profondeur, sans pour autant appliquer strictement les règles de la perspective. Les personnages et les animaux ne sont presque que des silhouettes et les feuillages sont figurés à l’aide d’une touche rapide. Cette œuvre est donc à mettre en parallèle avec l’art naïf de cette époque, tant par son sujet que par son traitement pictural.

Paul Pastaud : Des formes simples, une gamme chromatique soutenue, une touche qui fait vibrer l’ensemble… Si cette gouache de Jean Hugo fait écho à de nombreux chefs-d’œuvre d’artistes de la peinture moderne – Seurat, Le Douanier Rousseau ou encore Matisse – il s’agit néanmoins d’une œuvre singulière réalisée par un artiste qui a su trouver sa propre voie, en dehors de toutes les modes, où se mêlent « la modestie parfaite des enlumineurs », « la vérité quotidienne » (Jean Cocteau) et une certaine forme de mysticisme.

 

Le sujet ?

Estelle Laporte : Immédiatement, nous sommes transportés dans une nature calme et luxuriante, composée d’une rivière noyée dans la végétation. L’œuvre s’ordonne autour de l’embarcation. Un personnage, à la tête du bateau, semble ramer avec une pagaie, tandis qu’un second est assis derrière lui. En plus d’être la seule touche de couleur vive avec sa tenue rouge, il est placé au centre de la composition. Avec un peu plus d’attention, on constate que la rive est peuplée de canards aux silhouettes blanches, preuve du goût de l’artiste pour la miniature. L’œuvre est traitée avec une palette restreinte et l’emploi d’un camaïeu, ici de bleu, pour les arbres notamment. Le peintre adopte une approche sensible : l’eau dorée semble traduire le reflet du soleil qui se couche en une véritable ode à la nature. Cette petite gouache intimiste nous plonge dans un univers très vaste, comme si l’on regardait un paysage à travers des jumelles.

Paul Pastaud : Nous sommes effectivement loin de la tension d’une œuvre comme Le Radeau de la Méduse de Géricault ! Ici, pour les protagonistes, tout réside dans le secret espoir que cet instant n’ait pas de fin. Un instant qui invite à voyager au sein de ce paysage et à s’y prélasser. C’est une invitation à jouir de l’instant présent, une forme de carpe diem. C’est une œuvre dont le sujet attire le spectateur, la technique à ressentir l’odeur de l’herbe, le bruit de l’eau et du vent et à découvrir ce qui se cache derrière le voile de la Nature.

 

Détail de l’embarcation.

 

Un lieu de production ?

Estelle Laporte : Jean Hugo nait en 1894 à Paris où il commence sa carrière d’artiste après la Première Guerre mondiale durant laquelle il est mobilisé au front. Il poursuit sa carrière et termine sa vie en Camargue à l’âge de 90 ans. Son art du paysage est le témoignage du détachement qu’il prend avec le bouillonnement de la capitale. On perçoit à travers cette gouache son rythme de vie et les longues après-midi qu’il passe à arpenter la campagne. Jean Hugo se nourrit de son environnement et de ses voyages, dont il retranscrit une vision picturale poétique. L’œuvre est titrée au dos, ce qui permet de situer la scène au bord du Thouet, une rivière proche de la Loire.

Paul Pastaud : Le titre de l’œuvre au dos indique « Le Thouet à la barque ». Il s’agit d’une rivière de l’Ouest de la France qui traverse les départements des Deux-Sèvres et du Maine-et-Loire.

 

Une période de réalisation ?

Estelle Laporte : En 1929, le peintre se retire dans le sud de la France, à Lunel plus exactement, loin des mondanités parisiennes, et se consacre à la peinture. Cette œuvre a pu être peinte après son départ de Paris, dans les années 1940, à une époque où il est très croyant. A mon sens, une forte spiritualité se ressent dans cette œuvre à la fois par sa modestie, mais aussi au calme qui s’en dégage. Ce petit paysage est une immersion dans la nature et une invitation à la méditation.

Paul Pastaud : N’étant pas daté, il est complexe de rattacher ce dessin à une période précise, même si l’on peut raisonnablement penser qu’il a été réalisé après les années 1930.

 

L’état de conservation ? 

Estelle Laporte : L’œuvre n’a pas été décadrée mais il semble que celle-ci soit en parfait état de conservation.

Paul Pastaud : Pour une œuvre sur papier, ce dessin est dans un magnifique état de fraîcheur.

 

Une estimation ?

Estelle Laporte : Pendant longtemps, les œuvres de Jean Hugo étaient plus connues et prisées des collectionneurs américains. Aujourd’hui, on peut dire que l’artiste a les honneurs du public français et, notamment, des institutions. Cet été, des expositions lui seront dédiées à l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition : au musée Fabre de Montpellier, au musée Paul Valéry à Sète, mais aussi au musée Médard de Lunel. Pour cette gouache, de format intéressant, au sujet bucolique et poétique, une estimation comprise entre 3 000 et 5 000 euros serait en adéquation avec les derniers résultats obtenus aux enchères. Pour connaître le résultat, rendez-vous le 24 mai à Limoges !

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