Expertise : comment différencier des vis à bois anciennes et modernes ?
La vis, en tant qu’organe de liaison ou d’assemblage, fut pendant longtemps un produit coûteux, tant et si bien qu’elle n’est utilisée qu’à bon escient et avec parcimonie. Le maître ébéniste Jacques Dubarry de Lassale revient sur l’histoire des vis à bois, à travers l’étude de leur utilisation aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la vis est, dans la plupart des cas, réservée à la fixation des parties métalliques sur le bois, c’est-à-dire les serrures, les charnières, les pivots de secrétaires, les ferrures et la petite quincaillerie, ou bien des pièces en bois qui demanderont un jour à être démontées. C’est notamment le cas des baguettes formant le rebord des tables à jeux. Ces baguettes étaient destinées à cacher la fixation du tapis sur le champ du plateau et l’on devait pouvoir les enlever pour remplacer le tapis. La particularité d’une vis à bois est d’avoir un filetage conique. De ce fait, elle ne pouvait être filetée à la filière, c’est-à-dire mécaniquement, comme les vis à fer qui ont un filetage cylindrique. Ces vis étaient donc filetées à la main, probablement à la lime, ce qui nécessitait un travail long et minutieux, et rendait cet accessoire coûteux.
Les vis à bois à tête plate ou ronde
Commençons par l’étude des vis à bois à tête plate [photo n°1]. Lorsqu’elles sont courtes, elles sont en général filetées jusqu’à la tête. Elles sont utilisées le plus souvent pour la fixation de pièces métalliques, charnières par exemple. Sur un très beau secrétaire en laque de Chine estampillé de Jean-François Leleu, j’ai trouvé des vis bleuies comme le canon d’un fusil. Ce traitement qui les rendait inoxydables s’obtient en faisant chauffer le métal au rouge et en le trempant dans l’huile. Cette particularité est un signe manifeste de qualité [photo n°1, première vis à gauche]. Certaines vis à tête plate [photo n°2], plus longues, ne sont pas filetées jusqu’à la tête. Dans ce cas, elles sont destinées à assembler bois sur bois.
Les vis à tête ronde [photos n°3 et 4], quant à elles, sont rarement filetées jusqu’à la tête. Elles sont aussi destinées aux assemblages à bois sur bois, comme fixer les traverses sous les plateaux de guéridons.
Les pitons, pattes et supports de timbre
En ce qui concerne les pitons [photo n°6], l’anneau est toujours forgé et le filetage conique. Ces pitons étaient utilisés pour suspendre les cartels et les tableaux. On en trouve aussi sur les portes de gauche des buffets pour assurer la fermeture à l’aide d’un crochet pivotant.
Les pattes [photo n°5], quant à elles, sont toujours forgées, le filetage est conique comme pour les pitons. Elles servaient en général à la fixation des tablettes d’entrejambe, dans les chiffonnières par exemple.
Le support de timbre dans les cartels [photo n°5] était aussi forgé avec un filetage conique pour le bout fixé dans le bois et un filetage cylindrique pour la partie destinée à recevoir l’écrou carré en fer qui maintenait le timbre. En photo 3, on rencontre un type de vis de fabrication tout à fait spéciale. Le filetage lui-même est franchement conique, le filet étant oblique dans sa partie inférieure et horizontal dans sa partie supérieure. Cette conception de la vis était destinée à assurer un meilleur blocage de celle-ci. Cette fabrication paraît assez ancienne car j’ai rencontré ce type de vis pour la fixation des charnières d’un très beau coffret XVIIe en marqueterie Boulle, motifs à la Bérain, d’époque Louis XIV.
Différencier les vis anciennes et modernes
Le fer et l’acier anciens montrent, si on les brise, une section brillante et pailletée qui a l’aspect de la galène (sulfure naturel de plomb) que l’on utilisait dans les postes de TSF. Les mêmes métaux quand ils sont modernes n’ont pas cet aspect. Les vis à tête plate ou ronde sont toujours fendues, mais la fente n’est pas toujours précisément au milieu de la tête (car elles étaient faites manuellement à la lime) et la tête, elle-même, n’est pas toujours parfaitement ronde, ce qui vous permettra de juger, sans enlever la vis, s’il s’agit d’une fabrication artisanale ou industrielle [photo n°8]. Bien entendu, l’idéal est de dévisser une vis pour l’examiner en détail. Si cela vous arrivait, vous pourriez être confronté à une vis qui résiste à cause de l’oxydation, choisissez de préférence celle qui bouge un peu et ne la dévissez jamais en une seule fois au risque de casser la vis. Faites tourner de quelques millimètres, puis revenez au point de départ, puis recommencez en faisant quelques millimètres de plus, puis revenez au point de départ et ainsi de suite jusqu’à ce que la vis vienne librement. Précaution élémentaire, prenez toujours un tournevis de taille adaptée à la tête de la vis. Il n’existe pas dans le commerce de copie faite à la main des spécimens que je viens de décrire, leur prix de revient serait prohibitif ; mais faites attention aux réemplois d’éléments démontés sur des objets anciens. Cependant il est à noter que leur utilisation est forcément limitée.
Les vis à bois du XIXe siècle
En ce qui concerne les vis à bois du XIXe siècle, on remarquera la régularité et la profondeur du pas de vis, ainsi que la finesse du filet, qui témoignent d’une fabrication industrielle faite au tour [photo n°9].
Photos © Jacques Dubarry de Lassale.
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