Le 30 octobre 2024 | Mis à jour le 30 octobre 2024

Mathilde de Coniac expertise un luminaire d’Alberto Giacometti 

par Magazine des enchères

Un luminaire réalisé par Alberto Giacometti a été confié à la maison Millon pour expertise. Mathilde de Coniac, élève commissaire-priseur, nous propose de revivre l’expertise en direct, livrant ses observations et le fruit de ses recherches, sous la supervision du clerc Florian Douceron.

 

Les commissaires-priseurs en herbe, dont l’Association Nationale des Elèves Commissaires-Priseurs (ANECP) assure la cohésion, proposent deux fois par mois aux lecteurs du Magazine des enchères de revivre en direct un travail d’expertise mené à quatre mains dans les coulisses des salles des ventes. Aujourd’hui, c’est au tour de Mathilde de Coniac, élève commissaire-priseur chez Millon, de se prêter à l’exercice. Sous l’œil aguerri du clerc et spécialiste Art Nouveau et Art Déco Florian Douceron, elle décrypte pour nous ce luminaire d’Alberto Giacometti…

 

Première impression ?

Mathilde de Coniac : C’est un plâtre dans son jus, présent dans nos réserves pour la vente Masters – Art décoratif, il est intriguant par sa forme. C’est un masque androgyne rappelant des sculptures de l’Asie ou encore de l’Antique. Je ne pouvais dans une première approche l’assimiler à aucun mouvement ou style précis. Dans un second temps, la technique, le plâtre, m’a conduit à le rapprocher du XXe siècle, sans pouvoir néanmoins l’attribuer à un sculpture en particulier. Le tout ne portant aucune signature. 

Florian Douceron : Mathilde ayant bien identifié la période et le matériau, je l’ai invitée à rechercher quel artiste avait créé des luminaires en plâtre pour un décorateur. Nous avions la réponse et souhaitions tester notre élève commissaire-priseur qui s’est souvenu que Jean-Michel Frank employait des matériaux pauvres et avait collaboré avec les frères Giacometti dans les années 30.

 

Alberto Giacometti (1901-1966) pour Jean Michel Frank (1895-1941), « Masque » ou « Masque coiffure », modèle créé en 1933, applique en plâtre, 24 x 15,5 x 16,5 cm.

 

Une signature ?

Mathilde de Coniac : Il n’y a pas de signature sur le plâtre, mais une photo l’accompagne sur le catalogue, dans un intérieur placé en évidence sur un secrétaire, sans doute Louis XVI, encadré de deux vases en opaline. Jean-Michel Frank fait travailler Alberto Giacometti pour ses intérieurs. Il l’avait rencontré probablement grâce à l’intermédiaire des époux Noailles. Ils ont été en relation jusqu’au décès de Jean-Michel Frank en 1941 aux Etats-Unis. Dans ses intérieurs, il intègre des luminaires créés par Alberto Giacometti, épurés dans des tons de brun, beige, blanc, terracotta ou encore du bronze à patine.

Florian Douceron : Alberto Giacometti n’a jamais signé ses réalisations d’art décoratif, luminaires ou vases. Car leur univers est celui de la décoration. Le sculpteur n’a cependant jamais renié ses créations disant à leur propos en 1962 « il n’y avait aucune différence entre ce que j’appelais une sculpture et ce qui était un objet. »

 

Un mouvement artistique ? 

Mathilde de Coniac : En 1933, Giacometti est encore membre du groupe des surréalistes d’André Breton, auquel il participe de 1931 à 1935, mais dans son travail avec Jean-Michel Frank il crée des figures et des objets utilitaires dans un style sobre et élégant. Le travail de l’un inspire l’autre et Giacometti intègre ses créations dans le style épuré de Frank. Le surréalisme imprègne ce masque par le caractère étrange et onirique dont il semble être inspiré. Il faut l’imaginer avec une lumière diffuse sortant du masque.

Florian Douceron : Oui, ce luminaire est représentatif des arts décoratifs du XXe siècle, associant un but fonctionnel à la recherche du beau.

 

 

Le sujet ? 

Mathilde de Coniac : Ce masque coiffure entre dans la figuration et l’étude des visages d’Alberto Giacometti. Giacometti crée plusieurs modèles de luminaires pour Franck mais rares sont ceux ayant pour sujet une femme, l’autre modèle étant le lampadaire « tête de femme ou figure ». Un objet utilitaire dans un matériau artisanal en fait un objet d’exception par les mains de l’artiste.

Florian Douceron : La question du visage était une problématique centrale de Giacometti, c’était une de ses quêtes artistiques. C’est une des raisons pour lesquelles il a été évincé des surréalistes qui ne comprenaient pas ce retour au réalisme.

 

Le lieu de production ? 

Florian Douceron : Les frères Giacometti débutant leur collaboration avec Jean-Michel Frank au tournant des années 30, on peut supposer que ce masque a été réalisé dans l’atelier qu’ils occupaient depuis 1927 rue Hippolyte-Maindron dans le quatorzième arrondissement de Paris.

 

 

L’état de conservation ?

Florian Douceron : La sculpture avait subi les aléas du temps, une patine verte s’était posée sur le plâtre. La fondation Alberto Giacometti a procédé elle-même à la restauration de l’œuvre afin de la proposer aux enchères dans la version la plus conforme à sa connaissance des réalisations semblables de l’artiste.

 

Une estimation ? 

Mathilde de Coniac : Ce modèle masque coiffure, qui sera mis en vente le 15 novembre, est estimé entre 60 000 et 80 000 euros. Alberto Giacometti est un artiste complet, à la fois dessinateur, peintre et surtout sculpteur. Ce sont ses sculptures qui ont fait de lui une icône de l’art du XXe siècle. Aujourd’hui les collectionneurs sont internationaux avec des ventes à Paris, Londres, New-York, un artiste collectionné, reconnu et recherché par toutes les générations.

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