Le 2 mai 2024 | Mis à jour le 12 juin 2024

Pauline Murat de Chasseloup Laubat expertise une gouache de Martin Barré

par Magazine des enchères

Une gouache de Martin Barré a été confiée à la maison de vente parisienne Crait + Müller. Pauline Murat de Chasseloup Laubat, élève commissaire-priseur, nous propose de revivre l’expertise en direct de ce petit chef-d’œuvre, livrant ses observations et le fruit de ses recherches sous l’œil aguerri de son maître de stage, le commissaire-priseur Thomas Müller. 

 

Les commissaires-priseurs en herbe, dont l’Association Nationale des Elèves Commissaires-Priseurs (ANECP) assure la cohésion, proposent deux fois par mois aux lecteurs du Magazine des enchères de revivre en direct un travail d’expertise mené à quatre mains dans les coulisses des salles des ventes. Aujourd’hui, c’est au tour de Pauline Murat de Chasseloup Laubat, élève commissaire-priseur au sein de la maison Crait + Müller, de se prêter à l’exercice. Sous l’œil aguerri du commissaire-priseur Thomas Müller, elle décrypte pour nous une gouache de Martin Barré…

 

Les premières impressions ? 

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : Je découvre cette gouache lors d’une journée dédiée à la préparation de notre traditionnelle vente d’art contemporain du mois de juin. Mon regard est attiré par les quelques traces de peinture rouge qui se détachent du fond gris et blanc. Si je ne reconnais pas immédiatement l’artiste, je pense identifier une œuvre de l’abstraction, probablement de la seconde moitié du XXe siècle. Ma curiosité est également piquée par le médium, une gouache sur papier qui se distingue au milieu des huiles sur toile attendant d’être expertisées. 

 

Martin Barré (1924-1993), Sans titre, 1957 Gouache sur papier, signée et datée en bas à droite. 63 x 48 cm (à vue) En vente le 4 juin à Paris. Adjugé 32 250 euros (frais inclus). 

 

Une signature ?

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : Rapidement, mes yeux se portent sur la signature située en bas à droite de l’œuvre « Martin Barré, 57 ». Ce nom évoque immédiatement une récente rétrospective organisée par le Centre Pompidou en 2020. Ma théorie se confirme : Martin Barré (1924-1993) est un artiste reconnu dès les années 1950 pour ses œuvres abstraites dans lesquelles il ne cherche pas tant à produire un motif informel ou géométrique, qu’à arranger la matière et à révéler l’espace de la toile. 

Thomas Müller : J’ai tout de suite reconnu une œuvre de Martin Barré, artiste que j’apprécie et que nous avons déjà présenté à l’étude. Cette gouache sur papier se distingue des acryliques et huiles figurant des alternances de lignes, souvent plus présentes sur le marché des enchères. De plus, l’œuvre que nous présentons est intéressante par son histoire : au dos figure une étiquette du Art Lending Service (ALS) du MoMA de New York. Ce service, en fonction de 1951 à 1982, permettait de louer des œuvres du célèbre musée pour une faible somme. Les clients pouvaient alors profiter des tableaux chez eux et, à la fin de la période prévue, les acheter. Grâce à son étiquette nous savons que la gouache a été pendant un temps en dépôt dans les collections du MoMA de New York. 

 

Détail de la signature et de la date.

 

Un mouvement artistique ?

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le paysage artistique est bouleversé. Les recherches sur l’abstraction, entamées avant-guerre, se poursuivent avec plus de radicalité. C’est dans ce contexte de dépassement que Martin Barré réalise ses premières œuvres abstraites en travaillant la matière et l’espace de sa toile. Notre œuvre s’inscrit parfaitement dans cette tendance : la gouache est déposée en léger relief sur le papier, la matière est très présente et dialogue avec le vide laissé sur la feuille. 

Thomas Müller : La scène artistique se partage entre Paris et New York et de nouveaux concepts voient le jour. Les artistes imaginent non seulement une nouvelle forme d’expression, tranchant avec la figuration, mais développent également de nouvelles techniques pour produire leurs formes abstraites comme l’action painting de Jackson Pollock. Dans les années 1950, Martin Barré ouvre la voie d’une abstraction ni géométrique, ni biomorphique. En effet, sa peinture ambitieuse se compose davantage au travers de la matière et de l’espace qu’au travers des formes.

 

Un sujet ? 

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : Si de prime abord cette peinture ne représente aucun motif strictement identifiable, on s’aperçoit qu’elle est savamment pensée et construite. Quelques traces de peinture rouge, dans un ensemble gris et blanc, interpellent le spectateur. Puis, en regardant de plus près, la couche picturale crée un relief surprenant. Martin Barré compose l’espace de manière plastique et le matérialise entre les dépôts de gouache disposés selon des lignes droites définies. 

Thomas Müller : Cette œuvre est caractéristique de Martin Barré dans l’arrangement de l’espace du tableau et le motif ainsi créé. Elle s’inscrit parfaitement dans les travaux réalisés par l’artiste à la fin des années 1950.

 

Détail de l’étiquette du Art Lending Service du MoMA de New York.

 

Un lieu de production ? 

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : Après des études aux Beaux Arts de Nantes, Martin Barré s’installe de manière définitive à Paris dont le paysage artistique est revigoré par l’abstraction avec, entre autres, Pierre Soulages. Cette peinture a donc vraisemblablement été réalisée à Paris.

Thomas Müller : L’hypothèse d’une réalisation à Paris est probable, l’œuvre aura ensuite voyagé, notamment à New York. 

 

Une période de réalisation ?

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : La gouache que nous présentons est datée, en bas à droite, de 1957. Il s’agit bien d’une œuvre s’inscrivant pleinement dans les essais de l’artiste sur l’abstraction et qui annonce le travail des années 1960 faisant la part belle aux recherches sur la ligne et l’espace. 

Thomas Müller : Cette œuvre annonce en effet les recherches qu’il mène sur la ligne dès les années 1960 : celle-ci devient un élément central de son expression artistique. Ces productions des années 1960 sont plus courantes sur le marché des enchères, notamment les bombages. Une œuvre antérieure, comme la nôtre, se singularise alors. 

 

Un état de conservation ?

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : L’œuvre est en excellent état de conservation, la feuille ne présente ni pli ni tâche. 

Thomas Müller : Je fais remarquer à Pauline qu’il faudra sans doute décadrer l’œuvre afin d’observer son état avec plus d’attention, notamment pour voir le dos de la feuille. 

 

Une estimation ? 

Pauline Murat de Chasseloup Laubat : Nous avons estimé cette gouache entre 20 000 et 30 000 euros. Quelques œuvres semblables ont déjà été présentées aux enchères, ce qui facilite l’estimation. Cette gouache saura intéresser les collectionneurs friands des premières recherches abstraites de l’artiste, avant ses emblématiques bombages des années 1960. 

Thomas Müller : Martin Barré est un artiste avec une cote déjà bien assise dans le marché de l’art. Ses gouaches, plus rares, sont généralement estimées entre 20 000 et 40 000 euros. En tant qu’artiste de l’abstraction ayant travaillé après-guerre, ses travaux sont majeurs et intéressent les collectionneurs d’art contemporain. Néanmoins, l’œuvre étant emblématique de l’époque, elle peut également s’insérer dans un intérieur moderne comme un élément d’exception. 

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