
Pierre Laverne expertise une tapisserie de Michel Degand
Une tapisserie monumentale de Michel Degand a été confiée à la maison Mercier & Cie dans le cadre de la vente de son fonds d’atelier. Pierre Laverne, élève commissaire-priseur, nous propose de revivre l’expertise en direct, livrant ses observations et le fruit de ses recherches, sous la supervision de sa maître de stage, la commissaire-priseur Héloïse de Baudus.
Les commissaires-priseurs en herbe, dont l’Association Nationale des Elèves Commissaires-Priseurs (ANECP) assure la cohésion, proposent deux fois par mois aux lecteurs du Magazine des enchères de revivre en direct un travail d’expertise mené à quatre mains dans les coulisses des salles des ventes. Aujourd’hui, c’est au tour de Pierre Laverne, élève commissaire-priseur chez Mercier & Cie, de se prêter à l’exercice. Sous l’œil aguerri de la commissaire-priseur Héloïse de Baudus, il décrypte pour nous cette tapisserie de Michel Degand…

Michel Degand (1934-2021) et Ateliers Pinton éditeur, Conteur d’histoires, 1984, Tapisserie justifiée 2/6, 126 x 214 cm. Michel Degand s’intéresse au renouveau de la tapisserie. Il réalisera pas moins de 250 tapisseries tissées d’après plus de cent cartons principalement dans les Ateliers Pinton. Il réalise plusieurs œuvres monumentales en tapisserie et en sculpture pour le Palais de justice de Lille. En 1993, il se consacre essentiellement à la peinture et réalise de très nombreuses expositions. En 2013 et 2014, une nouvelle rétrospective de ses œuvres, tapisseries et peintures, lui est consacrée respectivement au Musée des Beaux-Arts d’Arras et à la Cité Nature à Arras.
Première impression ?
Pierre Laverne : Au premier regard, il m’est apparu évident que cette tapisserie mélangeait de multiples références, d’époques diverses. Je distingue d’abord des fragments de parterre feuillagé caractéristiques des tapisseries d’Aubusson du XVIIe siècle. Cet héritage du passé est souligné d’arcs-en-ciel qui évoquent quant à eux des œuvres plus récentes, rappelant notamment l’art graphique de Jean-Michel Follon des années 1980. Curieux assemblage, qui néanmoins présente une cohérence déconcertante.
Héloïse de Baudus : On constate une grande variété des textures, grâce à un jeu subtil avec la laine et ses points. L’œuvre est toute en reliefs et très texturée ce qui donne des contrastes intéressants, accompagnant les contrastes de couleurs et d’iconographies exploités dans cette œuvre.

Détail de la signature.
Une signature ?
Pierre Laverne : La signature est bien nette, dans le coin inférieur droit, « Degand » pour Michel Degand. Mais une tapisserie est une œuvre collaborative entre l’auteur du carton et le licier. On remarque au coin opposé un monogramme bien connu des amateurs de la production aubussonnaise : la marque de l’Atelier Pinton. Il est aussi important de regarder le revers de l’œuvre qui porte une étiquette, le bolduc. Ce détail apporte des informations capitales pour mener l’expertise.
Héloïse de Baudus : Cette graphie ronde de la signature est caractéristique de l’artiste qui en a quasiment fait une image de marque. Michel Degand, dans ses productions plus académiques à la suite de ses enseignements à l’Ecole des Beaux-Arts de Lille, puis à l’Académie de la Grande Chaumière à Paris, a parfois signé « M. Degand » pour les œuvres de jeunesse des années 1950-1960. Il a ensuite adopté cette signature très reconnaissable, et signe quasi systématiquement ses œuvres.
Le sujet ?
Pierre Laverne : L’œuvre allie d’une façon séduisante abstraction et référence figurative ornementale. Ici, on retrouve l’attrait de Michel Degand pour l’assemblage des formes qui ponctue l’ensemble de sa création, ainsi qu’un vibrant hommage à la production d’Aubusson à qui il a choisi de confier la réalisation d’une partie de ses œuvres textiles. La composition de ce Conteur d’histoires peut ainsi se lire comme un triptyque narratif, à la manière des œuvres médiévales qui l’inspirent depuis sa formation à l’École des Beaux-Arts de Lille.
Héloïse de Baudus : L’artiste rencontre Olivier Pinton en 1960 à Felletin, où ce dernier exerce en tant que maitre licier. Il démarre, dès cette période, avec des créations textiles ambitieuses, et répond à des commandes d’envergure, si l’on songe à celle de 1968 pour le palais de Justice de Lille qui fait plus de 11 mètres de long. Une étude préparatoire est d’ailleurs présente dans le fonds d’atelier qui nous présentons à la vente début novembre.
Une époque ?
Héloïse de Baudus : Cette tapisserie est très intéressante car elle condense les différentes périodes stylistiques de l’artiste, en plein milieu des années 1980, avec de nombreuses influences du fait de sa formation classique, adaptées au goût de l’époque. Cette tapisserie annonce d’ailleurs ses créations futures tendant à l’épuration des formes.
Une estimation ?
Pierre Laverne : Cette tapisserie, à la croisée des influences, est d’une belle dimension (126×212 cm). Nous l’estimons raisonnablement entre 400 et 600 euros.
Héloïse de Baudus : Notre estimation est volontairement attractive. Michel Degand a beaucoup vendu en galeries tout au long de sa vie, recevant des commandes privées et institutionnelles importantes. Il nous appartient, à travers cette vente, de consolider sa cote aux enchères publiques. Ce travail de valorisation est caractéristique de la vente de fonds d’atelier, et c’est ce qui en fait son intérêt et rend le travail de préparation intéressant. La fille de l’artiste, en l’occurrence, nous a été d’une aide précieuse en nous fournissant les ouvrages nécessaires à la bonne recontextualisation des œuvres. Nous espérons de véritables batailles d’enchères pour cet artiste protéiforme que nous avons eu grand plaisir à (re)découvrir. Car, si sa réputation est bien établie dans le Nord, où il a réalisé des projets monumentaux importants, nous souhaitons renforcer sa reconnaissance nationale et internationale. C’est un acteur majeur du renouveau de la tapisserie moderne, qui mérite ce dernier hommage dans sa région d’origine.
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