Sandrine Dupont : « Il y a aujourd’hui un véritable attrait pour les objets anciens. »
Tous les ans, au mois d’août, Sandrine Dupont organise à Morlaix une vente de prestige très attendue des amateurs, mettant notamment à l’honneur les arts de la table et l’orfèvrerie. Pour l’occasion, la commissaire-priseur nous a ouvert les portes de son hôtel des ventes, le temps d’un entretien durant lequel elle revient sur son parcours et les succès de la maison Dupont & Associés qui, installée à Morlaix depuis 2000, a ouvert récemment une antenne à Paris.
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir commissaire-priseur ?
Sandrine Dupont : L’attrait d’abord pour l’histoire et l’histoire de l’art. Adolescente, j’échangeais régulièrement sur ces thématiques avec un oncle grand voyageur et amateur d’art. Après le bac, il fallait choisir une orientation. J’ai essayé d’intégrer une école de commerce, mais le test de logique mathématique a eu raison de ma tentative. Je me suis alors tournée vers des études de droit à la faculté d’Aix-en-Provence. Partagée entre diplomatie et recherches, mais décidée à ne pas plaider. Je ne m’imaginais pas alors pouvoir prendre la parole en public. C’est en écoutant un étudiant, trois bancs devant moi, évoquer l’Ecole du Louvre que la voie s’est alignée ! Le droit se couplait parfaitement avec une formation d’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, et mon rêve de partir à Paris devenait possible ! C’est ainsi qu’à 18 ans, j’ai choisi de devenir commissaire-priseur.
Vous avez alors quitté votre Aubagne natale pour rejoindre Paris et intégrer l’école du Louvre. Comment avez-vous vécu ces premières années parisiennes ?
S. D.: Je rêvais de vivre à Paris, d’y faire une partie de mes études ! Sans autre attache qu’une amie pour m’accueillir, j’ai dû m’adapter à un autre style de vie. Portée par mes journées d’études à l’Ecole du Louvre et par les visites dans les musées, je considère aujourd’hui avoir réalisé un rêve.
Dans quelles maisons de vente vous êtes-vous formée ?
S. D.: J’ai effectué mon premier stage auprès du commissaire-priseur Claude Robert, où j’ai préparé pendant 15 jours une vente de tableaux modernes, de l’organisation de l’exposition à celle du cocktail. J’étais déjà dans mon élément. Après avoir eu l’examen d’accès au stage de commissaire-priseur, je suis retournée dans le sud où j’espérais trouver un stage. J’ai commencé mes recherches par Aubagne, puis Aix-en-Provence, Toulon, Nice… Aucune maison de vente n’accueillait de stagiaire. J’ai alors postulé à Lyon, avant de me rendre compte qu’il était ridicule de ne pas retourner à Paris, plutôt que d’étendre toujours davantage mes recherches jusqu’à quitter complètement le sud-est. A Paris, j’ai pu rejoindre l’étude Morand & Morand. Prête à regagner le sud pour les sports d’hiver, j’ai reçu un appel de Ludovic Morand le vendredi à 17h pour me dire que j’étais retenue, et attendue le lundi matin à 5h à l’hôtel Drouot. Etonnée, je me suis interrogée sur une sorte de plaisanterie à l’égard des stagiaires, mais la réponse fut sans équivoque ! « ai-je l’air de plaisanter ? ». Autant vous dire, que je ne suis pas allée aux sports d’hiver ! J’étais enfin dans le « grand bain » à l’Hôtel Drouot ce lundi là dès 5h du matin. C’était une vente judiciaire, suite saisies, comme l’essentiel des dossiers sur lesquels j’ai travaillé au cours de mes cinq mois de stage au sein de cette étude. Cette expérience professionnelle a été très enrichissante, cependant j’ai souhaité intégrer une étude plus tournée vers le Mobilier et les objets d’art.
Vous avez ensuite intégré l’étude de Claude Boisgirard où vous êtes restée cinq ans…
S. D. : Oui, j’étais attachée au départ, essentiellement à la gestion des acheteurs-vendeurs. Je préparais les bordereaux pour la comptable de l’étude. C’était un poste pivot entre les clercs et la comptabilité. Pendant plusieurs mois, je n’étais pas au contact des objets. Pressée de passer à l’étape suivante, je souhaitais assister les clercs et le commissaire-priseur dans leurs missions de préparation des ventes. J’ai alors fait part à Claude Boisgirard de mon souhait de prendre en charge un département. Pour cela il fallait trouver un nouveau département. Quelques mois auparavant, nous avions vendu le contenu d’un très bel appartement de l’avenue Montaigne, qui comprenait un important ensemble dédié aux arts de la table, mais également des robes Chanel et de la bagagerie. Je lui ai donc suggéré de créer un département dédié aux arts de la table et à la mode. Il a trouvé l’idée excellente et, un mois plus tard, il m’avait réservé une salle afin que je puisse y organiser mes ventes. Je ne le remercierai jamais assez de m’avoir autant challengée. Pour ma première vente, j’avais demandé un budget pour la décoration de la salle. J’ai obtenu le royal budget de 50 francs ! J’aimais alors beaucoup les ventes de l’étude Poulain-Le Fur, l’ambiance me semblait légère et les expositions toujours décorées avec élégance, des bouquets de fleurs, des plantes … C’était une étude modèle pour moi. Avec mes 50 francs, je suis donc allée rue des Martyrs acheter des artichauts pour créer le décor des premières ventes « Arts de la table ». De l’organisation à la décoration d’une vente, j’étais heureuse !
En 2000, vous avez finalement décidé de créer votre propre maison de vente à Morlaix avec votre époux François Dupont, également commissaire-priseur…
S. D. : Oui, à l’obtention de mon diplôme, je n’étais pourtant pas prête ! Il manquait alors dans la formation de commissaire-priseur un accompagnement vers l’entreprenariat. Mais je me suis mariée avec un camarade de promotion en 1998 et très vite, au bout de deux ans, il s’est senti prêt à créer notre propre maison de vente. Nous étions d’accord pour quitter Paris. L’hôtel Drouot qui m’avait tant comblé était devenu pour moi un lieu hostile. Je l’appelai le temple de l’impolitesse ! Nous avons alors fait un tour de France, Roanne, Montpellier, Manosque, La Rochelle… Mais aucune étude ne correspondait exactement à nos attentes. Personnellement je ne tenais pas spécialement à retourner en Provence, mais nous nous étions mis d’accord sur le sud de la Loire. Jusqu’au jour où François m’a dit qu’un commissaire-priseur de Morlaix recherchait un successeur. Je ne savais pas encore situer Morlaix sur une carte et après vérification, nous étions loin du cap fixé… C’était une étude qui avait déjà de nombreuses spécialités et organisait des ventes cataloguées. Les avantages étaient nombreux. Lorsque François m’a appelé, j’ai entendu une mouette et j’ai réalisé que nous serions proche de la mer ! Mon ciel s’est éclairci et l’aventure a commencé.
Une jeune femme originaire du sud, passée par Paris… Comment avez-vous vécu vos premières années en pays breton ?
S. D. : Effectivement, nous n’étions pas bretons et venions de Paris. Pour se faire adopter, il nous a fallu montrer patte blanche ! Il ne s’agissait pas en arrivant de la capitale vouloir tout chambouler. Nous avons avancé progressivement et aujourd’hui nous sommes fiers d’évoluer économiquement dans ce territoire. Nous avons conservé de nombreux rendez-vous qui émaillaient jusqu’alors le calendrier de la maison, comme le rendez-vous de l’été, avec les porcelaines de la compagnie des Indes et l’orfèvrerie. Le Finistère est une région touristique. Chaque été, de nombreuses familles réouvrent leurs maisons de vacances. Nous avons donc maintenu cette vente d’août dite de prestige que l’on a, au fil des années, étendue sur deux jours. Puis dédoublée en organisant une seconde vente en mars, également sur deux jours.
En 20 ans, avez-vous constaté une évolution dans la fréquentation de ces ventes estivales ?
S. D.: Même si ces ventes font généralement salle comble, il y a moins de monde en salle aujourd’hui. Autrefois, les clients réservaient leur place assise pour ne pas rester debout ! Et si la clientèle ne s’est pas véritablement rajeunie, nous sommes ravis de revoir les jeunes adultes connus en culotte courte à notre arrivée ! Il y a aujourd’hui un véritable attrait pour les objets anciens. La clientèle est désormais beaucoup plus sélective et nous nous sommes éloignés du phénomène d’accumulation qui animait les collectionneurs de nos premières années d’exercice.
Quelles sont les ventes qui vous ont le plus marquée ?
S. D. : Ce que je préfère ce sont les ventes de collections. J’aime échanger avec les clients, ou leurs descendants. Je me souviens particulièrement de la dispersion en 2021 de la collection d’orfèvrerie du XVIIIe siècle de Paul Des Marez, ou celle, en 2018, d’une collection extraordinaire de bijoux, qui comptait notamment un magnifique nécessaire Chaumet en émail exécuté dans l’esprit de l’Extrême Orient. Ce qui est formidable avec les ventes de collections c’est le travail de recherche qui les précèdent. Cette année, pour préparer le catalogue de notre vente de prestige des 5 et 6 août, dont la première partie était consacrée à la collection d’un passionné de couverts du XVIIe et du XVIIIe siècles, j’ai passé plusieurs semaines à faire des recherches pour ficher soigneusement tous les lots. J’ai découvert un univers extraordinaire, avec une diversité étonnante, des couverts en porcelaine des manufactures de Chantilly, Saint Cloud, Moustiers, aux couverts en ivoire ou en buis sculpté. Les couverts sont arrivés tardivement en Occident, probablement depuis Venise. Louis XIV en avait à sa table, mais les a utilisés tardivement. Au-delà du contact avec les clients, la recherche est sans doute l’aspect du métier qui me passionne le plus. Découvrir, apprendre reste extrêmement motivant. Nous sommes, par ailleurs, toujours aussi heureux lorsque nos recherches permettent de motiver des conservateurs et aboutissent à l’enrichissement des collections publiques. Je me souviens, en 2012, de ce moment extraordinaire lorsque le Musée de Morlaix a préempté une écuelle en argent, gravée au nom de Mathurin Cornic, père de Charles Cornic, le célèbre corsaire du Roi de France. Je revois encore le visage de l’adjudicataire qui a dû renoncer à son objet, surpris par la préemption prononcée quelques secondes après le coup de marteau ! Nos émotions sont alors multiples et les partager avec les collectionneurs restent une grande satisfaction.
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