Chloë Collin : « Le graffiti est un marché porteur. »
Chloë Collin anime depuis six mois les ventes d’art contemporain de la maison Pierre Bergé & associés. Elle a organisé une première session dédiée au graffiti, un marché naissant qu’elle juge particulièrement porteur. Rencontre avec une jeune commissaire-priseur qui, avec son compte La Saint Glinglin suivi sur les réseaux par plus de 28 000 abonnés, entend faire connaître au plus grand nombre le monde passionnant des ventes aux enchères…
Chloë Collin a été diplômée commissaire-priseur en 2021. Après avoir fait ses gammes au sein de la maison de ventes Fauve, elle a rejoint en 2023 la maison Pierre Bergé & associés, dirigée par Alexandre Landre, aux côtés d’Houria Bekkaoui et Richard Bédot, également commissaires-priseurs. A la tête du département « Post-war et Art contemporain », elle met en lumière un genre encore trop méconnu : le graffiti. De sa passion du théâtre à la création de son compte La Saint Glinglin sur Instagram et TikTok, suivi par plus de 28 000 abonnés, elle nous livre une vision ludique et accessible du métier.
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir commissaire-priseur ?
J’ai toujours fait beaucoup de théâtre et été intéressée par l’art en général, qu’il s’agisse des beaux-arts ou des arts vivants. Les études m’ont amenée vers une double-licence en lettres classiques, grec ancien et histoire de l’art. Je ne savais pas exactement si je continuais le théâtre. De fil en aiguille, lors de mes retours à Rennes chez mes parents, j’ai découvert la profession de commissaire-priseur grâce à Carole Jézéquel qui exerce chez Rennes Enchères. Son enthousiasme pour le métier m’a immédiatement séduite. J’ai donc complété ma formation par des études de droit et j’ai passé ensuite le concours d’entrée à l’examen de commissaire-priseur. Après deux années de stage, j’ai enfin été diplômée en 2021.
Vous avez finalement choisi un métier qui réunissait vos deux passions : l’art et le théâtre…
Oui, je renoue avec ma passion pour le théâtre lorsque je suis au marteau ! Mais également par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Sur mon compte La Saint Glinglin, je travaille une forme de mise en scène, sans jouer de rôle. Ce qui entoure les vidéos, en termes de direction artistique, de fil conducteur et de réalisation, rejoint le théâtre. J’y laisse également une touche de fantaisie dans la manière de conter les histoires qui rythment mes journées.
Comment vous est venue l’idée de créer le compte La Saint Glinglin ?
Mon meilleur ami, rencontré au Conservatoire d’art dramatique de Rennes, avait créé la radio « La Matinale » de l’ENS et m’avait proposé de faire une chronique d’art, « Expos, Tableaux, Dodo », qui s’est mue en l’émission La Saint Glinglin. Nous étions cinq chroniqueurs et je m’occupais des interviews d’artistes, un exercice qui me plaisait beaucoup. Après une pause au moment de l’examen de commissaire-priseur, je me suis tournée vers des formats courts avec une vraie logique de réalisation, que j’ai décidé de diffuser par l’intermédiaire d’un compte dédié sur Instagram et TikTok. La communication et la place des médias sont désormais primordiales quelle que soit la structure d’exercice, il est impératif d’avoir une vitrine numérique, comme d’autres domaines de l’industrie du luxe tels que la Haute Couture ou la gastronomie.
Une vitrine numérique que vous avez façonnée à votre image…
Oui, j’ai à cœur que les gens se sentent transportés dans ce mini-monde qu’est la vente aux enchères, et ce, avec mon point de vue. J’y mets beaucoup de ma personnalité, avec un côté ludique, fantastique, imaginaire. Tous les commissaires-priseurs peuvent proposer leur vision en fonction de leur quotidien : des grandes maisons de ventes aux plus petites, du volet judiciaire au volontaire…
« J’ai à cœur que les gens se sentent transportés dans ce mini-monde qu’est la vente aux enchères, et ce, avec mon point de vue. J’y mets beaucoup de ma personnalité, avec un côté ludique, fantastique, imaginaire. »
La Saint Glinglin compte aujourd’hui plus de 28 000 abonnés qui sont autant d’enchérisseurs en herbe que de futurs commissaires-priseurs…
Effectivement les étudiants sont très nombreux à m’envoyer des messages. Ils me demandent des conseils, des recommandations. Je me rends compte à quel point le métier fascine, beaucoup de gens aimeraient l’exercer. J’essaie donc de les plonger dans la diversité du quotidien d’une maison de ventes, où histoires des objets, des arts décoratifs, mais également histoires familiales s’imbriquent. Aucune semaine ne se ressemble, mais, en coulisses, il y a une forme de partition pour organiser les ventes : inventaires, recherches, photographies, création du catalogue…
En septembre dernier, vous avez rejoint la maison Pierre Bergé & Associés, dirigée depuis peu par Alexandre Landre qui vous a confié le département dédié aux ventes d’art d’après-guerre et contemporain. La première édition organisée le 18 novembre était consacrée au graffiti, un mouvement qui vous est cher, mais qui est encore peu présent sur le marché…
Si d’autres salles des ventes, avant moi, ont déjà remis l’art urbain sur le devant de la scène, à l’instar d’Artcurial ou Digard Auction, je me suis concentrée pour ma part sur le graffiti. Beaucoup de galeries d’art défendent le street art, mais le graffiti à proprement parler n’est pas aussi visible. Or, je suis convaincue que le graffiti est un marché porteur et, comme pour toute intégration d’un mouvement dans le marché de l’art, il y a toujours des cotes d’artistes à construire.
Graffiti et art urbain, comment distinguez-vous ces deux domaines ?
Le graffiti est arrivé dans les années 1970-1980 à New York à travers des enfants, jeunes adolescents, qui tagguaient dans la rue et, au fur et à mesure, ont commencé à grapher en récupérant des bombes utilisées pour les chantiers. Ils ont développé des lettrages spécifiques, porteurs d’identité, pour s’affirmer comme groupe et marquer un territoire, tout en essayant de jouer avec les lettres, les couleurs… La dimension artistique a alors pris le dessus. On garde cette essence aujourd’hui, toujours avec l’importance du support : le métro, la rue, le mur, qui entourent la notion d’interdit… L’art urbain est beaucoup plus large et regroupe le collage, la photo, l’installation ; le support diffère, et parfois les villes en sont commanditaires. Il y a, toutefois, une jonction entre les deux à travers le politique, le lettrage et l’illégal.
Pour faire découvrir cette spécialité, vous avez organisé en amont de la vente un vernissage ponctué d’animations culturelles…
Je suis très proche du monde de l’art contemporain et beaucoup de mes amis évoluent dans le milieu musical ; j’ai donc voulu créer un point de rencontre entre la musique et l’évènementiel, en m’inspirant des vernissages de galeries ou de musées comme le Palais de Tokyo qui font entrer les DJs, le mouvement, la danse, dans l’espace de l’exposition. Je souhaite développer cela dans le monde des ventes aux enchères. Mon rêve serait de voir un vernissage d’exposition où artistes, collectionneurs et professionnels passent du temps ensemble de manière plus informelle. Le vernissage de cette première vente était au-delà de mes attentes et j’étais ravie de voir se côtoyer des artistes new-yorkais, londoniens, parisiens qui m’ont fait confiance. Cet événement a apporté de nouveaux profils d’enchérisseurs, plus jeunes, qui étaient prêts à effectuer leurs premiers achats aux enchères, en démarrant avec des œuvres autour de 1 000 à 1 500 euros.
La préparation d’une vente aux enchères de graffiti nécessite finalement de travailler à la manière d’une galerie…
En effet, la préparation d’une vente de graffiti est à mi-chemin entre le travail mené dans les institutions, dans les galeries et dans les ventes aux enchères. Pour ma première vente Graffiti, j’ai été amenée à rédiger, pour le catalogue, un dictionnaire, des textes sur les artistes, et même des interviews. Le graffiti est encore un marché de niche, avec peu de collectionneurs, ce qui me donne une grande liberté en traitant le sujet dans une logique curatoriale. Cette première vente, je l’ai ainsi organisée à la manière d’une exposition, en trois temps : les dessins préparatoires de métro (sketches), la photographie, et le travail d’atelier. Elle offrait un beau parallèle Old School / New School entre les œuvres présentées, certaines ayant près de 50 ans et marquant les débuts du graffiti et d’autres émanant d’artistes actifs depuis peu.
« Mon rêve serait de voir un vernissage d’exposition où artistes, collectionneurs et professionnels passent du temps ensemble de manière plus informelle. »
Lors de cette vente, des personnalités historiques du graffiti côtoyaient de jeunes talents. Les enchères sont-elles un tremplin intéressant pour les artistes ?
L’exposition précédent la vente est gratuite, et ouverte à tous, ce qui donne de la visibilité à une jeune scène montante qui n’est pas forcément présente sur le marché ou dans les institutions. Le résultat final de la vente compte, mais une œuvre invendue bénéficie également de visibilité, la vente et le catalogue édité font date et servent effectivement de tremplin. J’ai pu par exemple vendre des photos de Crapule2000, que les nouveaux acheteurs connaissaient à travers les réseaux. Cet artiste n’expose pas en galerie, la vente aux enchères était donc l’occasion de faire venir son public et de leur permettre de s’offrir l’une de ses photographies.
Ouvrir les salles des ventes au plus grand nombre et attirer un nouveau type de clients est aujourd’hui le défi majeur pour les commissaires-priseurs…
Oui, le défi est de faire apparaître les ventes aux enchères comme une évidence aux côtés des habitudes d’achat que les jeunes ont déjà via les brocantes ou les sites e-commerce, en faisant de la consultation des plateformes comme Interencheres un réflexe quand on pense à acheter seconde main. Décloisonner ces secteurs est un enjeu très important.
Avez-vous personnellement ce réflexe d’acheter aux enchères ?
Je collectionne exclusivement le graffiti et la mode, le graffiti appelant pour l’instant à des achats en dehors des salles des ventes. S’agissant de la mode, je recours systématiquement aux enchères et suis de près les ventes spécialisées partout en France. C’est un réflexe récent, auquel j’ai pris goût au moment où j’ai été diplômée commissaire-priseur.
Si vous ne deviez retenir qu’une seule qualité pour devenir commissaire-priseur ?
La curiosité : il faut s’intéresser à toute forme d’art que ce soit la musique, le cinéma, les arts plastiques ou décoratifs, c’est un terreau fertile pour toutes les ventes qu’un commissaire-priseur sera amené à diriger dans sa carrière.
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Crédits photos :
Photo en Une de l’article © Clémence Martin / Photos dans l’article © Juliette Capus
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