Des enchères au musée : les préemptions marquantes de 2017
Chaque année, de nombreuses œuvres mises en vente sont achetées par les musées français grâce au droit de préemption. Retour sur quelques beaux lots annoncés sur Interencheres en 2017 qui ont rejoint les collections des institutions les plus prestigieuses, du Louvre à la Bibliothèque nationale de France, en passant par le musée de l’Orangerie et le musée Fabre.
Qu’est-ce qu’une préemption ?
Pour acquérir les œuvres d’intérêt muséal, fréquentes dans les ventes aux enchères, les institutions recourent à une loi, fixée le 31 décembre 1921 et modifiée le 10 juillet 2000, qui autorise l’Etat à user d’un pouvoir de préemption le plaçant prioritaire pour toute acquisition.
Cette procédure exceptionnelle permet aux institutions françaises d’enrichir les collections publiques avec des pièces d’intérêt majeur.
Dans la pratique, la vente se déroule normalement. Les enchères se succèdent jusqu’à l’adjudication, une fois le prix de réserve dépassé. Mais un employé de l’Etat veille discrètement dans la salle. Muni de sa délégation de pouvoir et d’un prix maximum déterminé à l’avance, il attend le coup de marteau pour se manifester. Il se lève et annonce finalement une « préemption pour les musées de France au profit de … ! » L’objet n’est dès lors plus la propriété du dernier enchérisseur et revient de droit à l’institution publique.
Le Louvre enrichit sa collection de primitifs allemands
Les œuvres des primitifs allemands sont rares sur le marché. Aussi, lorsque ce retable de la fin du XVe a été proposé aux enchères le 24 septembre 2017 à Louviers, le musée du Louvre n’a pas hésité à l’acquérir à hauteur de 124 000 euros. Il faut dire que le tableau s’intégrait parfaitement à son projet de revalorisation initié par la rénovation en février 2017 des salles consacrées aux écoles du Nord.
Sur fond d’or, le tableau figure deux anges jouant de la harpe et de la vielle à roue. Un brin rieurs, ces personnages juvéniles sont caractéristiques du style empreint de tendresse du Maître du Retable de saint Barthélemy, actif entre 1470 et 1510 autour d’Utrecht et de Cologne. Cet artiste anonyme doit son nom de convention au retable qu’il réalisa pour l’église Sainte-Colombe de Cologne, aujourd’hui conservé à la Alte Pinakothek de Munich. Il y imposa un style réaliste proche des innovations flamandes de Jan van Eyck, avec des figures aux formes sculpturales, tout en restant résolument attaché au raffinement gothique en vogue à Cologne. C’est d’ailleurs dans cette ville allemande, où il s’installa en 1480, qu’il devint le chef de file du gothique tardif allemand.
Cette œuvre délicate et intimiste rejoindra ainsi une imposante Descente de croix du même artiste, conservée au musée du Louvre. L’occasion pour l’institution de faire découvrir aux visiteurs un pan méconnu de l’art autour de 1500.
Le musée Fabre acquiert un portrait peint par son fondateur
Ce portrait néoclassique adjugé 11 500 euros le 4 novembre 2017 ne pouvait rêver meilleure collection que celle du musée Fabre de Montpellier. En effet, son auteur n’est autre François-Xavier Fabre, fondateur de l’institution. Ce baron, peintre et grand amateur d’art, fit don en 1824 de sa collection de peintures et de livres, donnant ainsi naissance à l’actuel musée montpelliérain.
Avec élégance, il offre ici un portrait empreint de sagesse du journaliste Louis-François Bertin (1766-1841), qui dirigea le Journal des débats au cours du XIXe siècle. Ce personnage majeur de la vie politique sous l’Empire inspira à Fabre une autre toile, identique mais aux dimensions plus importantes, également acquise par voie de préemption par le musée Fabre en 2012. Ce portrait réalisé autour de 1802 précédait de trente ans le chef-d’œuvre d’Ingres représentant Bertin, conservé aujourd’hui au musée du Louvre.
Cette acquisition réalisée à l’Hôtel des ventes de Montpellier-Languedoc confirme la politique dynamique que mène depuis plusieurs années le musée Fabre. Son directeur Michel Hilaire a ainsi rappelé en décembre dernier le budget annuel de 400 000 euros alloué à l’enrichissement des fonds, grâce au financement des Amis du musée Fabre, de la Fondation d’Entreprise et de Montpellier Méditerranée Métropole.
Un musée de Limoges se laisse envoûter par un vase Art déco
Préempté par les musées nationaux pour la somme de 15 000 euros lors de la vente organisée par Maître Sébastien Chalot samedi 14 janvier 2017 à Fécamp, ce vase de l’artiste Art déco René Crevel a rejoint les collections du musée Adrien Dubouché à Limoges, spécialisé dans les céramiques, les faïences et les porcelaines.
De forme ovoïde, ce vase en porcelaine de Limoges fut fabriqué à partir d’un dessin de René Crevel par la manufacture de porcelaine Bernardaud, l’une des plus importantes dans les années 1920, active à Limoges depuis 1863. Son décor sculptural, tout en finesse, présente un groupe de femmes nues évoluant dans un cadre végétal d’inspiration cubiste. Il fut créé à l’occasion de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes organisée à Paris en 1925 et fait partie d’une série de six vases conçue pour le pavillon du Limousin. L’un d’eux avait déjà intégré les collections du musée de Limoges, tandis que les quatre autres sont encore aujourd’hui portés disparus.
René Crevel est souvent confondu avec son homonyme, le célèbre poète dadaïste et surréaliste qui se suicida à 35 ans. Cette confusion a hélas desservi la renommée de l’artiste, qui fut pourtant l’une des plus importantes figures du mouvement Art déco en France. Pendant l’entre-deux guerres, René Crevel a ainsi participé à de nombreux salons et expositions. Il a notamment produit des modèles de vases, mais aussi des peintures, des gouaches, ou des cartons de tapisserie.
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Le musée de l’Orangerie complète sa collection Paul Guillaume avec un dessin à son effigie signé Modigliani
En plein Salon du dessin, le musée de l’Orangerie s’est laissé séduire par cette œuvre sur papier signée Amedeo Modigliani (1884-1920) et adjugée 60 000 euros par la maison de ventes Ader le 24 mars 2017 à Paris. Outre sa provenance exceptionnelle (fonds de Domenica Walter-Guillaume) et son illustre auteur, c’est le sujet qui a retenu l’attention de l’institution : à travers quelques traits esquissés, on devinait le visage et la silhouette de l’un des plus grands marchands d’art du XXe siècle, Paul Guillaume.
Celui-ci joua un rôle essentiel dans la reconnaissance des avant-gardes artistiques, soutenant les plus grands noms de l’art moderne. C’est d’ailleurs au musée de l’Orangerie qu’une grande part de sa collection est aujourd’hui conservée, avec pas moins de 146 chefs-d’œuvre de Renoir, Cézanne, Gauguin, Picasso ou Matisse. Parmi eux, un tableau de Modigliani témoigne de l’amitié qu’entretinrent les deux hommes, pourvu d’une annotation, que l’on retrouve également sur le dessin préempté : « Novo pilota », un surnom affectueux par lequel Modigliani signifiait la position de « nouveau pilote » de ce jeune marchand âgé seulement de 23 ans.
La Bibliothèque Nationale de France préempte 49 lettres d’Artaud
Au cours de la vente hommage à l’acteur, essayiste, poète, auteur de pièces de théâtre Antonin Artaud (1896-1948), le 28 janvier 2017 à l’hôtel des ventes de Compiègne, l’Etat s’est levé cinq fois.
La Bibliothèque nationale de France, qui avait organisé une exposition des manuscrits d’Artaud en 2007, a acquis un ensemble de 49 lettres écrites par Artaud au psychiatre-directeur de l’asile où il était interné (49 000 euros), deux écrits sur les « Initiés », l’appellation qu’il utilisait pour désigner ses ennemis (14 500 euros à eux deux), une lettre destinée à sa mère Euphrasia (7 000 euros) et une « lettre-sort » assortie d’une brûlure de cigarette et de signes ésotériques adressée à Hitler (27 000 euros).
Le Musée des Beaux-Arts de Tours documente l’histoire de sa ville
Lors d’une vente organisée au Château de Vaux-le-Vicomte le 26 novembre 2017, les Amis de la Bibliothèque et du Musée des Beaux-Arts de Tours ont préempté une huile sur papier marouflé sur toile du peintre orientaliste Georges Clairin (1843-1919). Adjugée 8 000 euros sous le marteau de Maître Matthias Jakobowicz, cette peinture est une esquisse pour le décor de l’escalier d’honneur du Grand Théâtre de Tours. Celui-ci fut confié à l’artiste à la suite d’un incendie qui ravagea le bâtiment en 1883.
Georges Clairin imagina une composition en trois parties. Au centre, on retrouve le Cardinal du Bellay présentant François Rabelais à François Ier, accompagné de sa cour, tandis que l’on découvre à gauche une scène de théâtre du Moyen Âge, et que l’on reconnaît à droite des célébrités tourangelles – l’écrivain Aflred de Vigny, le médecin Armand Trousseau, le céramiste Charles Jean Avisseau.
Cette étude documente le décor finalement retenu et permet d’en distinguer les principales évolutions. Ainsi, si l’ensemble est resté quasiment identique, quelques détails ont été apportés. Parmi eux, l’ajout d’une figure majeure de la région : l’écrivain Honoré de Balzac, intégré au panneau de droite aux côtés des autres gloires de la Touraine.
C’est à quelques rues du décor définitif, au Musée des Beaux-Arts de Tours, que l’œuvre sera ainsi exposée. Elle rejoindra un portrait plus connu de l’artiste, représentant Sarah Bernhardt dans son jardin de Belle- Île.
Le Musée des Beaux-Arts d’Orléans achète un triptyque monumental à 1 700 euros
Le Musée des Beaux-Arts d’Orléans a lui aussi jeté son dévolu sur une étude préparatoire à un décor. Lors de la vente organisée par Carrère et Laborie le 16 décembre 2017 à Pau, il a ainsi préempté un triptyque figurant un événement historique de son territoire : la prise de la bastille des Tournelles par Jeanne d’Arc qui libéra la ville d’Orléans en 1429. Et pour enrichir sa collection, il n’a eu qu’à débourser la modique somme de 1 700 euros, collectée par les amis des musées d’Orléans.
Cette huile monumentale de 2m46 sur 4m90, peinte vers 1932, est en fait une œuvre préparatoire à un décor plus petit (59 x 172 cm) que René-Marie Castaing (1896-1943) réalisa sur les murs de la chapelle de l’école Jeanne d’Arc à Tarbes, mêlant au récit historique du XVe siècle, sa propre expérience de soldat lors de la Première Guerre mondiale. Ce peintre français, Prix de Rome en 1924, reçut après la guerre de nombreuses commandes pour des églises des Pyrénées-Atlantique. Il participa ainsi au renouveau de la peinture religieuse dans les années 1920-1930.
La Ville de Paris préempte une turquerie
La Bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP) a ajouté à son importante collection d’art dramatique, cet ensemble de projets scéniques signé Hervé, un auteur de pièces de théâtres et d’opéras bouffes de la fin du XIXe siècle. Ce lot, préempté à 2 000 euros lors de la vente organisée par Maître Rémy Le Fur le 12 avril 2017 à Paris, comprenait 11 projets aquarellés, ainsi qu’un ensemble de lithographies et de gravures. Il provenait des archives d’Heugel, une ancienne maison d’éditions spécialisée dans la musique.
Hervé, de son nom de scène, écrivit notamment « Les Turcs » en 1869, inspiré par l’engouement pour l’orientalisme et les turqueries. Il sollicita pour cela le célèbre illustrateur Draner qui imagina les costumes.
L’Etat se lève 44 fois pour les souvenirs du général Marchand
Le 22 février 2017 à Lyon, l’Etat s’est levé 44 fois. Pour cause : l’étude De Baecque et Associés dispersait les effets personnels du général Jean-Baptiste Marchand (1863-1934), célèbre pour avoir commandé la mission d’exploration « Congo-Nil », destinée à combattre l’hégémonie coloniale britannique en Afrique. Ce général, peu connu des manuels d’histoire, reçut pourtant tous les honneurs suite à ses exploits militaires : la traversée épique de l’Afrique en trois ans de l’Atlantique à la Mer Rouge, mais surtout sa résistance acharnée face aux Anglais lors de la crise de Fachoda au Soudan qui se solda par une guerre entre les deux puissances coloniales. Ces souvenirs historiques ont ainsi intégré les collections du Service Historique de la Défense, du musée de l’Armée, ainsi que des Archives Nationales d’Outre-Mer.
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