Le 31 mai 2022 | Mis à jour le 31 mai 2022

Expertise : un secrétaire en armoire d’époque Directoire

par Jacques Dubarry de Lassale

Apparu au début du XVIIIe siècle, au cours du règne de Louis XV, le secrétaire en armoire est un meuble haut pourvu d’un abattant surmontant deux vantaux en partie basse. Formant une table à écrire et disposant de tiroirs et casiers de rangement, il connut un grand succès aux XVIIIe et XIXe siècle par son aspect fonctionnel. Après l’expertise d’un secrétaire en armoire d’époque Louis XV, Jacques Dubarry de Lassale décrypte les particularités d’un meuble bourgeois d’époque Directoire fabriqué au nord de la Dordogne. 

 

Le « secrétaire en armoire » serait apparu autour de 1731. Cette désignation figure dans les inventaires dès 1760, y compris dans celui de la Couronne où l’on trouve la mention d’un secrétaire en armoire dont le devant fermant à clef s’abat et forme une table à écrire, et dont le bas présente deux battants fermant à clef. Ce secrétaire avait été fourni en 1731 par Pierre II Migeon à la Duchesse de Rohan.

 

La structure du secrétaire en armoire

Le bas du secrétaire, fermé par deux vantaux, abrite généralement un tiroir fermant à clef qui servait de coffre-fort. La partie haute, derrière l’abattant, appelée caisson ou serre-papiers, est souvent organisée en étagères et petits tiroirs. La conception du caisson est toujours simple. Son fond est généralement constitué par celui du meuble et il est agencé avec deux étagères et quatre ou six tiroirs. Bien entendu, il existe des meubles plus luxueux. Jean-François Hache a ainsi plaqué en frisage le fond du caisson de son remarquable secrétaire en armoire conservé au Musée des Arts décoratifs de Lyon. Par ailleurs, j’ai restauré un secrétaire Louis XVI estampillé de Debus, dont l’ensemble du caisson était garni de treize petits tiroirs. Dans la majorité des cas, l’abattant est surmonté d’un tiroir. Dans les productions Louis XV, ce tiroir peut être en doucine.

Le secrétaire que nous allons examiner en détail [photos ci-dessous] correspond à un modèle qui peut être défini comme « meuble bourgeois ». Le mot même de secrétaire trahit l’usage bourgeois du meuble car il révèle l’activité intellectuelle de son utilisateur. Ce meuble, de fabrication provinciale (nord de la Dordogne), est simple et sans prétention. Il forme un ensemble avec une commode. On peut raisonnablement estimer que sa fabrication remonte à l’extrême fin du XVIIIe siècle, ou peut-être même au début du XIXe siècle, compte tenu de sa production provinciale et du décalage observé entre Paris et la province à cette époque.

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[Photo 1 et 2]. Secrétaire en armoire d’époque Directoire en noyer.

Un meuble dont les dimensions respectent le nombre d’or

La hauteur du meuble est de 148,5 cm, sa largeur de 92 cm et sa profondeur de 39 cm. En se livrant à un petit calcul, on constate que l’artisan a utilisé le nombre d’or pour concevoir son meuble (92 cm x 1,618 = 148.8 cm). Ce détail savant indique que le concepteur du meuble a bénéficié de la formation d’un maître. Il m’est arrivé de réparer un beau secrétaire Louis XVI en laque de Chine, estampillé de Jean-François Leleu, dont les dimensions respectaient également le nombre d’or.

 

Des bois typiques de la Dordogne

L’extérieur du meuble est en noyer dit « charbonnier », comme on en trouve en Dordogne. Le dos, dans sa partie haute, est en châtaignier, bois très courant dans le nord du département, et dans sa partie basse, en peuplier [photo 3]. L’étagère de la partie basse, ainsi que le cloisonnement du caisson, sont également en peuplier. Les façades des petits tiroirs du caisson sont en noyer, mais les côtés et les fonds sont constitués de bois divers (peuplier, aulne, hêtre, chêne et cerisier). Ceci n’est pas étonnant car l’artisan, par économie, utilisait des chutes de bois pour faire les caisses de tiroirs.

 

La conception du meuble

Les montants antérieurs sont arrondis et cannelés, les montants arrière carrés et cannelés. Les quatre pieds dits « en toupie » sont typiques du Directoire. On constate toujours pour ce type de pied que l’ébéniste a pratiqué un collage sur la partie présentant le plus grand diamètre [photo 4], car il pouvait ainsi utiliser une pièce de bois moins importante sur toute la hauteur du montant. N’oublions pas que l’économie de matière première était un souci constant des menuisiers et ébénistes. L’abattant et les deux portes du bas sont réalisés quant à eux avec des panneaux massifs embrevés dans des rainures pratiquées dans les encadrements au moyen de languettes bâtardes [croquis A].

 

 

Des encadrements de style Directoire

Les encadrements sont montés à tenons et mortaises dans les coupes d’onglet [photo 5]. En revanche, la façade du tiroir supérieur du meuble a été défoncée? Ainsi, seuls les encadrements verticaux ont été rapportés [photo 6]. Cette pratique constituait une simplification du travail de l’artisan. Ces encadrements, en ressaut par rapport au panneau, sont caractéristiques de la fin du style Louis XVI et surtout du Directoire. Le montage des tiroirs est conforme à l’époque, c’est-à-dire qu’ils sont montés à languettes bâtardes dans des rainures.

 

 

Les tiroirs et les serrures

L’assemblage des côtés de tiroirs sur la façade est à queues d’aronde minces, d’une conception très proche de celle utilisée au XIXe siècle [photo 7]. Les poignées de tirage sont en bronze et d’un modèle très classique, caractéristique de la fin du style Louis XVI ou du Directoire, avec cabochon hexagonal [photo 6] et fixées par des écrous carrés se vissant sur des tiges filetées.

La serrure du tiroir supérieur manque, tandis que la serrure de l’abattant est à trois points d’ancrage [photo 5]. Les pivots de l’abattant sont très simples et classiques [croquis B]. Les portes du bas sont montées sur pivot déporté [photo 8]. La serrure est d’époque postérieure, néanmoins le loquet de la porte de gauche est d’origine [photo 9]. Les entrées de serrure sont en laiton mince et dites « à filet ». Malheureusement le tiroir intérieur du bas a disparu, ce qui arrive très souvent. On voit encore la pièce de bois de droite qui servait au guidage latéral du tiroir [photo 10]. On trouve de nombreuses traces d’outils. Il y a des traces de sciage manuel sur des panneaux [photo 11] et de riflard [photo 12]. On voit des traces de pointe à tracer et des marques conventionnelles à la sanguine [photos 7, 10, 11].

 

L’état du secrétaire 

Ce secrétaire a été très abîmé par une effraction, probablement après la perte de la clef de l’abattant. La planche de séparation du tiroir supérieur et du caisson a été cassée et arrachée [photo 13]. Les deux tiges d’ancrage de la serrure de l’abattant sont également arrachées et l’on voit les traces de l’outil utilisé pour faire levier sur l’encadrement intérieur de l’abattant [photo 14].

 

 

 

 

Photo en Une : Un secrétaire en armoire en noyer et filets de laiton dessus de marbre. Directoire. 146 x 92 x 41,5 cm. Adjugé 240 euros par Véronique Ingels le 29 février 2020 à Roanne.

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