
Expertise : une paire d’encoignures estampillées de Jean-François Leleu
L’encoignure est un meuble à la mode au XVIIIe siècle où il est d’usage de garnir les angles de pièces. Armoires, buffets, cabinets, tables et même sièges sont ainsi dits « d’encoignure » lorsque leur bâti est construit en forme de coin. Les encoignures ont d’autant plus de valeur lorsqu’elles forment une paire permettant d’organiser un décor symétrique. Mais le jeu des portages de succession a fait beaucoup d’orphelines. Jacques Dubarry de Lassale revient sur les particularités de ce meuble d’angle à travers l’expertise d’une rare paire estampillée de Jean-François Leleu.
Jean-François Leleu est né a Paris en 1729 et mort le 3 septembre 1807. II fut reçu Maître le 19 septembre 1764 et compte parmi les maîtres les plus talentueux de l’époque. Il effectue son apprentissage au faubourg Saint-Antoine, puis il rentre comme compagnon chez le grand ébéniste Jean-François Œben, établi à l’arsenal. II y rencontre un collègue, compagnon comme lui, Jean-Henri Riesener, qui se révèle être une excellente fréquentation sur le plan professionnel. A la mort de Jean-François Œben en 1763, Leleu comme Riesener convoitent sa succession, mais Riesener l’emporte. Il épouse Françoise Marguerite Vandercruse, la veuve d’Œben. Evincé, Leleu ouvre son propre atelier. Très vite sa réputation s’accroît et il obtient des commandes de la Comtesse du Barry et surtout du Prince de Condé.
Les deux encoignures que nous allons examiner (photos 1 et 2, ci-dessous) sont caractéristiques de la production de Jean-François Leleu. Elles sont entièrement en acajou et on remarque une grande simplicité et pureté des lignes. Elles sont demeurées en paire, ce qui est plutôt rare, et ouvrent à deux portes. La symétrie est parfaitement respectée, la porte à serrure – celle qui ouvre en premier – est celle de droite pour l’encoignure de droite et celle de gauche pour l’encoignure de gauche. Elles sont coiffées d’un marbre blanc de Carrare d’origine dont la mouluration suit parfaitement le contour du meuble. Le bord du marbre côté façade est mouluré en cavé (quart de rond), typique sous Louis XVI. L’arrière du marbre a quant à lui été égalisé au ciseau.

Photos 1 et 2 : Paire d’encoignures estampillées Jean-François Leleu.
La construction du meuble
La caisse est en chêne et les panneaux relativement minces, débités sur quartier. La maille est abondante. Ce genre de débit avait l’avantage d’éviter de trop grandes déformations au séchage. Les assemblages du plancher et du plafond sont à queue d’aronde.
L’assemblage des panneaux de côté est à rainure et languette, ce qui n’est pas courant pour l’époque puisque l’on collait plutôt à plat joint (photo 3).

Photo 3 : L’assemblage des panneaux de côté est assuré par rainure et languette.
Le galbe des portes est obtenu par le raccord de deux planches d’acajou massif embrevées par rainure et languette (photo 4).

Photo 4 : Le galbe des portes est obtenu par le raccord de deux planches d’acajou massif embrevées par rainure et languette.
La mouluration est simple, les écoinçons sont soulignés par de petites pastilles en bois de bout collées et clouées par un minuscule clou central (photo 5).

Photo 5 : Les écoinçons sont soulignés par de petites pastilles en bois de bout collées et clouées par un minuscule clou central.
Les charnières entièrement en laiton sont fabriquées à partir de feuilles de laiton pliées (photo 6) et fixées par des vis à tête plate d’époque. Les serrures ont le palâtre en laiton avec les bords chanfreinés. Elles sont d’époque avec leur clé d’origine (photo 7). Les sabots sont en bronze doré d’époque (photo 8).

Photo 6, 7 et 8 : Les charnières sont fabriquées à partir d’une feuille de laiton. / Les serrures ont le palâtre en laiton avec les bords chanfreinés. / Les sabots sont en bronze doré d’époque.
L’estampille est frappée sur le haut du montant antérieur (photo 9). Ce maître signait ordinairement avec une estampille caractéristique où son nom est inscrit dans un petit cadre festonné. Il employait en outre une seconde marque n’imprimant que les initiales J.F.L.

Photo 9 : L’estampille est frappée sur le haut du montant antérieur. Le nom est dans un cadre festonné.
Le meuble ouvert présente une étagère intermédiaire (photo 10).

Photo 10 : L’encoignure ouverte présente une étagère intermédiaire.
La photo 11 présente l’encoignure vue de dessus, ce qui permet d’apprécier les galbes de la façade.

Photo 11 : L’encoignure vue de dessus présente bien le profil de la façade.
La photo 12 montre le montage des côtés sur le montant arrière.

Photo 12 : Montage des côtés sur le pied arrière.
Le loquet de la porte secondaire, situé en haut, est également en laiton avec les bords chanfreinés (photo 13).

Photo 13 : Loquet du haut de la porte secondaire. Le palâtre est également à bords chanfreinés.
Photos © Jacques Dubarry de Lassale.
Image en Une : Paire d’encoignures en placage de satiné et amarante à encadrements de bois de rose et filets, le dessus de marbre blanc veiné, reposant sur des montants pincés terminés par de petits pieds cambrés ; ornementation de bronzes dorés (rapportés à une date ultérieure). Estampille de Jean-François Leleu et JME, ébéniste reçu maître en 1764. Epoque Louis XV, vers 1765. (Restaurations). H. 92 L. 50,5 cm. Adjugée 6 000 euros par Brissonneau le 10 décembre 2020 à Paris.
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