Le 23 juin 2020 | Mis à jour le 24 juin 2020

Le marché de la BD aux enchères : une bulle spéculative ?

par Arthur Frydman

Depuis quelques années, la bande dessinée s’impose sur le marché de l’art avec de nombreuses enchères records. Entre investissement de niche et domaine de passionnés, retour sur ce marché pointu et rigoureux.

 

Peu présentes par le passé, les vacations thématiques autour de la bande dessinée ne cessent de croître et rapportent – au même titre que les ventes d’art moderne et contemporain – des millions d’euros, atteignant une certaine maturité sur le marché de l’art. Ainsi en 2012 à Paris, la couverture de Tintin en Amérique (1932) fut adjugée à 1,34 million d’euros (frais compris). Un record battu en 2014 avec la vente à Paris d’une autre planche originale signée Hergé, star des enchères, pour 2,5 millions d’euros. Cependant, il y a encore trente ans, ce marché n’existait pas ou peu car personne ne s’y intéressait réellement. « Il y a une vingtaine d’année, nous avions affaire à des acheteurs de ‘Madeleines de Proust’, des passionnés de BD », explique le libraire et expert Alain Huberty, figure majeure qui a notamment permis à ce marché de se dynamiser. « Au fil du temps nous avons vu les collectionneurs se diversifier en étoffant l’offre en galerie avec des artistes qui dépassent l’univers de la BD et l’organisation massive de ventes aux enchères », ajoute le spécialiste. Le marché est ainsi sorti de son adolescence et a atteint un réel professionnalisme avec des cotes établies qui ne cessent de grimper, légitimant davantage le neuvième art sous le marteau. 

 

L’esthétique, un critère primordial

Mais qu’est ce que les collectionneurs recherchent ? Alors que certains spéculent sur de rares auteurs, les autres – autrement dit les amateurs nostalgiques et passionnés – scrutent attentivement les ventes à la recherche de détails précis comme l’usage du trait, de la couleur ou de la mise en scène. « Ce n’est pas la signature que l’on doit regarder mais la beauté de la pièce, sa qualité plastique et son pedigree, autrement dit sa fraîcheur sur le marché. La valeur d’une planche s’appréciera également si la scène qui s’y joue représente un moment phare du récit », décrypte Alain Huberty. Ainsi, une planche bas de gamme de Hergé, valeur refuge par excellence, ne prendra pas de valeur tandis qu’une belle pièce, où se déroule une scène-clé et bien conservée d’un auteur moins connu en prendra. Autre point fort de ce marché, le spectre du prix se veut large. Moins de 100 euros pour des planches de Pif, Batman, Spiderman à plusieurs centaines, milliers voire millions d’euros selon l’auteur et la rareté de la pièce. En tout état de cause, nombre d’auteurs restent abordables et les collectionneurs peuvent dénicher des pépites comme en 2018 chez Millon où des planches d’Edmond-François Calvo (La bête est morte!, 1944) ont été adjugées pour moins de 1 000 euros. 

 

Les planches originales, pièces les plus prisées des collectionneurs

Par ailleurs, deux axes sont privilégiés par les collectionneurs. D’un côté, les éditions originales des albums, c’est-à-dire des premières éditions à tirage limité qui constituent la base primaire de la BD mais peu plébiscitées aux enchères. Et de l’autre côté, les encres et planches originales réalisées par les dessinateurs, pièces les plus prisées et recherchées puisque le travail provient directement de la main de l’artiste. Pour le spécialiste, « ce sont ces planches qui structurent le marché et font de celui-ci une niche de passionnés ». Elles prirent véritablement leur essor dans les années 1970 et 1980 lorsque les premiers tomes de séries étaient épuisés ou réédités dans une qualité moindre. Les amateurs avisés et esthètes nostalgiques se sont alors tournés vers les planches, entraînant ainsi une hausse continue des prix pour les auteurs majeurs. On voit désormais des cases de Tintin et d’Astérix dispersées entre 20 000 et 100 000 euros, notamment chez Millon en 2014 et 2018. Mais d’où proviennent ces lots ? « Concernant les planches disponibles sur le marché, elles peuvent provenir de collectionneurs privés qui se séparent de certaines de leurs pièces pour en acquérir de nouvelles. On voit également certains collectionneurs âgés se séparer, en partie ou en totalité, de leur collection pour des raisons de successions. Parfois ce sont les auteurs eux-mêmes ou leurs ayants-droit qui décident de mettre quelques originaux en vente, par exemple pour faire vivre la fondation de l’auteur », précise Alain Huberty. Une donnée importante puisque depuis quelques années, des œuvres disparues voire volées réapparaissent sur le marché à l’image des récentes affaires Uderzo et  Edgar P. Jacobs, le père de Blake & Mortimer

 

Hergé, Pratt, Franquin, Uderzo… des valeurs sûres

Enfin, du côté des auteurs, on retrouve sur le devant de la scène les grands noms de l’école franco-belge. A l’instar de Hergé, les valeurs sûres sont représentées par Hugo Pratt, Franquin, Jacobs, Tardi, Druillet, Morris et Uderzo, ces derniers atteignant bien souvent des adjudications à plusieurs zéros. Derrière eux, la nouvelle vague est plus que jamais plébiscitée aux enchères et l’appétit des collectionneurs pour cette dernière confirme une nouvelle tendance sur le marché. On retrouve ainsi des dessinateurs tels que Gotlid (Gai-Luron), Jean Giraud, également connu sous le pseudonyme de Moebius (Blueberry) ou Enki Bilal (La Trilogie Nikopol, Bug). Celui-ci est le seul auteur contemporain à s’envoler aux enchères, ses planches partant à plusieurs centaines de milliers d’euros, lui rapportant désormais plus que la vente de ses albums. 

A lire aussi | Deux dessins originaux d’Enki Bilal adjugés à près de 60 000 euros

 

Image d’accueil : Ellipse. Les aventures de Tintin. Ensemble de treize celluloïds originaux à la gouache sur film transparent ; certains accompagnés d’esquisses et de croquis. Travail des années 1990. 26,5 x 32 cm. Estimation : 800 – 1 000 euros. Crédit Municipal de Paris, vente le 2 juillet 2020.

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