Le singe dans l’art : décryptage
Un singe botaniste peint par Gaston La Touche (1854-1913) a été adjugé 10 000 eurosle samedi 18 mars 2017 par Maître Cyril Duval à l’Hôtel des ventes de La Flèche. L’occasion d’un voyage dans le temps, au fil de la représentation de ce primate, tendre, espiègle ou effrayante, qui peuple le monde des enchères et n’en finit pas de conquérir le cœur des acheteurs.
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L’animal domestiqué
Dans La Botanique, le peintre, de sa touche impressionniste, légère et aérienne, peint un singe établi sur une console dorée de style Louis XV. Feignant d’expérimenter les mystères de la nature, l’animal semble davantage détruire un à un les pétales d’un bouquet de fleurs. Une telle simulation était déjà à l’œuvre dans son pendant : La Physique, adjugée 17 000 euros le 8 juin 2013 par Maître Cyril Duval. Un singe, dans une mise en scène similaire, s’adonnait au jeu enfantin des bulles de savon. « Cet animal est un sujet que Gaston La Touche affectionnait particulièrement, confie le commissaire-priseur. L’artiste avait lui-même un primate apprivoisé et c’est vraisemblablement lui qu’il a peint sur ces deux oeuvres. » Les artistes font la part belle au singe qu’ils représentent en animal de compagnie. Ainsi, le singe respirant une fleur dans la célèbre Dame à la licorne symbolise l’odorat autant qu’il témoigne de sa domestication prisée de la noblesse française, tandis qu’un couple de bourgeois promène le primate par un Dimanche après-midi à l’Île de la Grande Jatte (Georges Seurat).
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Miroir de la vanité
Mais gare à ne pas se laisser duper par cet attendrissant minois poilu… Car c’est en fait une caricature de l’homme et de sa vanité qui se cache derrière la représentation du singe. Le miroir sur les deux toiles de La Touche nous met d’ailleurs sur la piste. La symbolique n’est pas nouvelle et dans le Singe se mirant dans un plat en argent adjugé 2 050 euros en 2015 par l’Hôtel des ventes de Senlis, la grimace cette fois agressive de l’animal ne laisse plus de place au doute.
Associé durant le Moyen-âge au diable et à l’homme corrompu, le singe caricaturant les faits et gestes de l’homme devient à lui seul un genre pictural qui fleurit dans les Pays-Bas méridionaux du XVIIe siècle. Le peintre flamand David Teniers II, dit le Jeune, use alors en maître des peintures humoristiques dans lesquelles des singes costumés imitent l’homme dans ses loisirs. Fumant, buvant ou jouant aux cartes, ces animaux en habits de cour et coiffés de chapeaux à plumes effleurent le burlesque et inspirent le rire.
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Des singeries rococo
La comédie se poursuit au XVIIIe siècle et trouve son plein épanouissement dans les décors fantaisistes du style rococo. Dans les années 1730, Christophe Huet pare les appartements du Château de Chantilly d’une Grande et d’une Petite Singeries, vastes ensembles peints sur du lambris blanc et or où l’animal exotique se mêle aux chinoiseries. Des singes esclaves alternent avec des hommes servants, côtoient des primates devenus chasseurs et guerriers ou habillés en femmes et soignant leur toilette. Dans cette profusion décorative où les lignes sinueuses et arabesques se libèrent, l’animal jouant d’espiègleries et de grimaces, singe, imite, se met en scène pour mieux ridiculiser les habitudes princières et donner à voir l’homme dans ses actions les plus viles.
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L’artiste en singe
De Mantegna à Picasso, en passant par Goya, Delacroix ou Decamps, le singe devient le double idéal du peintre ou du sculpteur plagiaire et histrion, usant de tous les poncifs, asservi à la nature et incapable d’inventer, de dépasser la seule imitation servile. Comme le Singe Peintre de Chardin, exposé au Musée du Louvre, qui tente de transposer sur la toile une statue posée devant lui pour ne parvenir finalement qu’à esquisser sa propre image, Le Singe et ses modèles du peintre belge Zacharie Noterman, adjugé 2 000 euros par Couton Veyrac le 14 juin 2016 à Nantes, symbolise ces artistes, dénués de talent, qui se contentent d’appliquer les leçons dûment étudiées et qui se singent les uns les autres. Un leitmotiv qui continue encore d’inspirer les artistes, ce que l’actualité ne manque d’ailleurs pas de rappeler : le 24 février 2017, le singe-peintre de l’artiste contemporain allemand Jörg Immendorff, jetant au monde des images de guerre et de violence, rejoignait ainsi la collection de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence.
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