
Les souvenirs d’un roi blanc d’Afrique
Inventeur de la roue de vélo, adepte des traversées de la France en bateau ou en vélo, Aimé Olivier de Sanderval s’est aussi passionné pour l’Afrique, où il est devenu roi du Kahel. Si une partie de sa collection d’art africain est exposée au musée du Quai Branly, une trentaine de ses pièces muséales seront dispersées le samedi 30 novembre depuis Marseille et en direct sur le Live d’Interencheres.
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A l’occasion d’un inventaire de succession dans une maison marseillaise, Maître Renaud Mazzella est invité par ses occupants à poursuivre ses estimations dans la grange. « Malgré l’obscurité qui régnait dans ce lieu si singulier en plein ville, je remarque une coupe pourvue d’un couvercle, sur laquelle figurent des animaux stylisés. La modernité du dessin me fait d’abord penser à un objet des années 30, probablement Art déco. Mais le propriétaire des lieux m’indique alors que le récipient a été rapporté d’Afrique par l’un de ses aïeux, qui avait longtemps résidé en Guinée-Bissau où il a d’ailleurs constitué une importante collection. Dès lors, nous nous mettons en quête de retrouver un à un les objets d’art africain disséminés un peu partout dans la propriété. Exhumés des caissons, des tiroirs, des placards et même des coffres à jouets dans lesquels ils dormaient depuis des années, une trentaine de pièces est alors rassemblée, détaille le commissaire priseur. Quelle ne fut pas ma surprise quand mon hôte m’informe alors que le reste de la collection se trouve au musée du Quai Branly ! »
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Intrigué par cet ensemble muséal, Maître Mazzella interroge alors la famille sur ce mystérieux aïeul. Tous connaissent parfaitement le parcours d’Aimé Olivier de Sanderval (1840-1919), cet arrière-grand-père bouillonnant d’inventivité et touche-à-tout insatiable, dont la fortune paternelle (l’une des plus importantes en France, acquise notamment grâce à la fusion de ses activités avec la compagnie Saint-Gobain) lui a permis d’oser toutes les expérimentations. Après avoir inventé la roue souple de vélo, il crée la première usine de vélocipèdes dont il dote gratuitement les facteurs des Postes de son arrondissement. « Sanderval imagine ensuite un prototype d’aile volante puis décide de traverser la France entière dans une étonnante embarcation à voile, une yole de course, depuis la Seine jusqu’au Rhône, pour revenir en vélocipède par étapes quotidiennes de deux-cents kilomètres ! », s’exclame le commissaire-priseur. La seule limite de cet hyperactif est le sommeil. Insomniaque chronique, il regrette de ne jamais pouvoir s’abandonner dans les bras de Morphée. « Si seulement j’avais pu dormir j’aurais été génial ! », avait-il d’ailleurs l’habitude de dire.
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En 1877, suite au décès de son beau-père, notre héros est envoyé en Afrique pour liquider les entreprises du défunt. Sanderval se passionne alors pour ce continent et notamment pour la culture Peul qu’il découvre en Guinée-Bissau. Il se met alors à décrire consciencieusement ses voyages dans des carnets, qui seront d’ailleurs repris par les journaux français. Désireux de « comprendre plutôt que combattre », il se lie d’amitié avec les Peuls et gagne peu à peu la confiance de l’almamy (le roi) qui finit par lui céder en 1888 un territoire sur le plateau du Kahel. Le nouveau souverain blanc met alors au point son grand projet pour l’Afrique : créer une ligne de chemin de fer pour relier le Niger à la côte atlantique. Si les souverains africains entérinèrent ce projet, l’administration française a toujours refusé de valider les traités conclus par lui-même avec les chefs locaux, et le train de Sanderval ne verra donc jamais le jour.
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Aimé Olivier de Sanderval quitte alors le continent africain pour rentrer à Marseille avec l’ensemble des objets qu’il a collecté entre 1877 et 1897, principalement dans l’archipel des Bijagos puis au Fouta-Djalon. En 1952, son fils Georges fera une importante donation d’une partie de la collection au musée de l’Homme du palais Chaillot, aujourd’hui conservée au musée du Quai Branly à Paris. Les pièces découvertes dans la grange et dans sa maison marseillaise seront mises aux enchères par Maîtres Mazzella et Bonnaz le samedi 30 novembre 2013 depuis l’hôtel des ventes Méditerranée de Marseille et en direct sur le Live d’Interencheres. Parmi les lots proposés se trouvent de nombreux objets semblables à ceux exposés à Paris, dont cinq cuillers (estimées de 800 à 3 000 euros), des pièces de monnaies (200 à 300 euros d’estimation) et un modèle réduit de pirogue en bois de 86 centimètres de long (4 000 à 6 000 euros).
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Les commissaires-priseurs disperseront également deux figurines qui ont fait partie de la toute première exposition d’art africain en France, organisée en 1923 au Pavillon de Marsan du Louvre. Toujours pourvues de l’étiquette indiquant leur présence à cet événement, les deux figurines en bois mesurent une vingtaine de centimètres. Alors que le personnage féminin est assis, les bras le long du corps et coiffée d’un toupet brun (estimation : de 5 000 à 6 000 euros), son pendant masculin est debout et arbore un étonnant chapeau haut-de-forme (estimation : de 6 000 à 8 000 euros). « Je me suis demandé s’il s’agissait d’un couvre-chef inspiré par les colons ? », se demande Maître Mazzella. « Mais pas du tout ! Il s’agit de la coiffe traditionnelle de chefs chez les Bijogos ! »
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A noter : Les aventures romanesques d’Aimé Olivier de Sanderval ont inspiré la rédaction d’un livre Le Roi de Kahel écrit par Tierno Monénembo et publié aux éditions du Seuil, qui a reçu le Prix Renaudot en 2008.
Lien vers la vente de la collection Sanderval
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