
Zoom sur une scène paysanne nabie
Mise à jour du 8 mai 2017 : la toile a été adjugée 485 000 euros, soit plus de deux fois son estimation haute.
A l’occasion d’une importante vente de tableaux de l’école bretonne, une toile majeure de Paul Sérusier (1864-1927) estimée entre 150 000 et 200 000 euros sera mise aux enchères samedi 6 mai par Thierry Lannon et Associés à Brest et sur le Live d’Interencheres. Réalisé en 1890, Le battage du blé noir marque un tournant dans l’œuvre du peintre qui se donne tout entier au synthétisme que lui enseigne Paul Gauguin, pour se placer au premier plan du postimpressionnisme. Décryptage…
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Une scène rurale bretonne
Occupant de moitié la hauteur du tableau, on ne voit qu’elle, elle est monumentale. Pourtant, elle nous tourne le dos. En un ballet lancinant, elle bat les épis et donne le rythme aux compagnons qui l’entourent, dont le trait vif du peintre décompose un à un les mouvements. En apparence, c’est une scène banale du quotidien rural d’un hameau breton où les paysans, à la fin de l’été, s’adonnent au battage du sarrasin. Mais Paul Sérusier simplifie les formes à l’extrême, esquisse les visages des paysans, les réduit à des tâches de couleurs. Il gomme leurs expressions pour mieux saisir l’essence de leur humble travail collectif. Placés sur une même ligne horizontale, ils forment ensemble une frise décorative illustrant l’harmonie de l’homme avec la nature.
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Une peinture spirituelle
Au centre, la paysanne est vêtue du costume traditionnel, pourvu d’un galon bleu en forme de croix, ceinturant la poitrine. Vincent Van Gogh dans une lettre de 1889 évoque ces costumes « symboliques influencés par les superstitions du catholicisme ». Au-delà de son intérêt graphique, le vêtement se lit à l’aune de la religion.
La spiritualité préside au mouvement nabi que Paul Sérusier initie à son retour de Pont-Aven en 1888. L’artiste y fait une rencontre décisive, celle de Paul Gauguin, qui lui enseigne une nouvelle manière de peindre, dont Le Talisman, l’Aven au Bois d’Amour sera le résultat. Mais ce n’est que deux ans plus tard que Paul Sérusier assimile véritablement les leçons du maître, dont cette toile témoigne.
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L’influence de l’art japonais
Des morceaux de ciel peinent à trouver leur place entre des toits de chaume alignés à l’arrière-plan. L’artiste peint les maisons qu’il découvre lors de ses séjours successifs avec Paul Gauguin près de l’hôtel Destais au Pouldu, port de la commune de Clohars-Carnoët. Fidèle à son maître, il réduit ici l’effet de profondeur et esquisse une ligne d’horizon à plus des deux tiers de la hauteur de la toile. Ainsi placée, elle évoque les estampes japonaises si chères aux post-impressionnistes, épris de japonisme dont ils découvrent les Å“uvres dans les revues d’art.
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Une oeuvre inachevée
Le blanc de la toile, vierge de toute peinture, s’invite entre les taches de couleurs qui font office de personnages. A côté, des traits évoquent la mise au carreau et avec elle toute la préparation du tableau. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une œuvre inachevée ? Paul Sérusier met fin au doute. Il signe, en l’état, comme pour mieux affirmer qu’avant d’être une scène paysanne, la toile est un support sur lequel l’artiste élabore un long travail préparatoire.
Cette même année 1890, en guise de théorie du groupe Nabis, son ami Maurice Denis rappellera ainsi « qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »
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Une symphonie colorée
Paul Sérusier simplifie les formes à l’extrême et use de couleurs intenses irréalistes. Il plaque ses personnages sur un fond quasi uniforme de couleur jaune, qu’il applique en grands aplats, cernés de lignes décoratives. Il pose des jaunes intenses et des bleus qui se mêlent tour à tour pour faire apparaître ici ou là un visage orange, un tablier vert.
Avec cette toile, l’artiste s’approprie le synthétisme de Gauguin qui l’enjoint à se débarrasser de la contrainte réaliste, pour épouser une logique purement symbolique. La toile n’est plus cette « fenêtre ouverte sur le monde », mais devient un support sur lequel l’artiste organise sa composition. Au-delà d’une scène paysanne, elle devient une symphonie de lignes et de couleurs.
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Lien vers l’annonce de la vente
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